Maux de tête en Castille
Au sortir d’une saison 2023-2024 prévue de transition et finalement triomphale, le Real Madrid a fait la une des gazettes sportives pour son mercato agressif. Le recrutement et la présentation hyper médiatisés de Kylian Mbappé ont été accompagnés de l’arrivée du nouveau prodige brésilien annoncé, Endrick, avant-centre de 18 ans qui rejoint ses coéquipiers de la Seleção auriverde Vinicius Jr et Rodrygo.
Ces renforts embellissent un secteur offensif où les talents ne manquent pas, avec les Jude Bellingham, star anglaise de 21 ans, Brahim Díaz, l’international hispano-marocain de 25 ans et Arda Güler, pépite turque de 19 ans.
Des recrutements qui répondent plus à une stratégie financière qu’à la logique sportive: tous ces attaquants de classe ne sont pas forcément complémentaires. Ambitieux et impatients, certains déjà idolâtrés dans leurs pays d’origine, ils tenteront de gagner une place de titulaire au sein d’un effectif particulièrement riche. Résisteront-ils à une attente prolongée sur le banc des remplaçants? Afin de leur permettre de démontrer leurs qualités, faudra-t-il réduire le temps de jeu des cracks qui se disputent la tête de gondole de la maison blanche?
Ces interrogations se poseront, surtout si les résultats du Real ne sont pas à la hauteur des attentes du public et des médias. Voilà des maux de tête en perspective pour Carlo Ancelotti, l’entraineur respecté des merengue.
Les galactiques
Avec l’invasion dans le monde du football des pays du Golfe, le marché déjà en expansion depuis l‘irruption des oligarques et des fonds d’investissement, connaît une croissance brutale.
Dans cette nouvelle jungle sportive, la compétition devient chaque jour plus financière. Le statut d’association à but non lucratif qui appartient à ses socios (plus de 80000) lui interdisant de bénéficier de l’injection d’argent extérieur, le Real Madrid est condamné à l’auto-financement.
Pour le plus grand club de la planète foot, le seul moyen de résister à une concurrence féroce, principalement de la richissime Arabie Saoudite, est de recruter des stars internationales susceptibles de faire exploser les 3 sources de revenus du Real : la billetterie, les droits TV, le marketing.
D’où la stratégie des galactiques, prônée par Florentino Pérez dès son élection à la présidence du Real en 2000, pour sortir le club d’une impasse financière: l’onéreuse acquisition de footballeurs de classe qui assurent le spectacle grâce à un jeu offensif glamour, attractif pour les spectateurs, les partenaires et les annonceurs.
Un parti pris financier aux dépends de la nécessaire complémentarité des joueurs, garante de l’efficacité de l’équipe. Sous la direction du sage technicien Vicente del Bosque, les galactiques ont régalé les amateurs de foot d’une pluie de buts, des roulettes de Zizou et des feintes de Figo aux bicyclettes de Ronaldo R9, aux frappes surpuissantes de Roberto Carlos, aux centres ou coups de pied liftés et à la belle gueule de David Beckham… Du « show buzz » garanti par l’embauche chaque année d’une vedette accueillie avec le faste dû à son rang de galactique. En gagnant seulement une coupe d’Europe et une Liga en 5 ans. Non sans maux de tête pour del Bosque.
Car la réunion d’élégants techniciens à vocation offensive ne suffit pas à la conquête de trophées, en l’absence de joueurs assurant la sécurité défensive et l’équilibre de l’équipe, prompts à mouiller le maillot pour récupérer le ballon dans les pieds adverses. Pour preuve, éteinte la galaxie, le Real a enchaîné les titres en revenant aux valeurs d’engagement et de solidarité historiquement chères à l’Institution madrilène.
Le Real Madrid
Nous vivons la reprise, centrée sur les jeunes footballeurs talentueux, de cette stratégie des galactiques qui a fait du Real le club le plus riche de la planète foot. Une politique qui a pour émules les grandes écuries du football. Et qui ne devrait pas épargner Carletto, bon papa pour ses joueurs, des maux de tête dont a souffert del Bosque.
D’autant que le départ de Toni Kroos n’a pas été compensé. Comment le serait-il, tant ce discret leader par l’exemple, stabilisait le jeu de l’équipe et dictait à ses partenaires le juste tempo grâce à sa maîtrise technique, son intelligence tactique et son art de la passe? Son modèle de passes longues changeant l’orientation du jeu sans préavis contraignait à une répétition de courses les rivaux des Madrilènes régulièrement épuisés en fin de partie.
Toni aurait été la rampe de lancement idéale pour les chevauchées d’un Kylian Mbappé partant de sa base préférée, l’aile gauche. Le poste où Vinicius s’est affirmé. Un Vini intouchable, candidat au prestigieux ballon d’or. Pas question cependant de renoncer au recrutement de Kylian, vedette du showbiz dont la jeunesse, la vélocité, l’efficience et la souriante insouciance avaient conquis en 2018 les amateurs de foot des cinq continents. De quoi attirer force contrats publicitaires, déclencher des ventes record de maillots et produits dérivés; et donc de retenir l’intérêt du roi Pérez, désireux depuis plus de sept ans d’incorporer l’enfant de Bondy en sa Cour de la Castellana.
Aujourd’hui, ni Tchouaméni, ni Valverde, ni l’admirable vétéran Modric en fin de parcours, ni le seul Bellingham ne peuvent garantir la possession du ballon, l’orientation et l’animation du jeu des Blancs.
Alors à qui confier les clefs du camion ?
Pour remplacer l’Allemand, à priori seul conviendrait Rodri, avec l’appui de Camavinga. Mais on voit mal le Catalan Guardiola et les Emirati libérer leur joyau pour renforcer le Real. Il y a fort à parier que FP tentera de rapatrier Rodri le madrilène dès la fin de l’exercice 2024-2025, un an avant l’expiration du contrat le liant à Manchester City.
Sachant qu’avec ses 33 printemps, leur maître à jouer belge, De Bruyn, aura du mal à résister au chant des sirènes saoudiennes, les Cityzens feront tout pour conserver Rodri, l’ancien play maker de l’éternel rival local du Real, l’Atlético, qui deviendrait leur unique véritable meneur de jeu.
Débuts laborieux
Les premières joutes du Real Madrid de 2024-2025 peu convaincantes, laissent planer la crainte d’une sensation de déjà-vu: faute de rechercher une solution collective à la manière des sky blues, les attaquants merengue ne parviennent pas encore à conclure leurs actions individuelles.
Rodrygo recherchant l’appui de Vini, l’aile droite est trop souvent occupée par les projections du seul Caravajal, qui n’est pas un joueur de débordement en un contre un. Sur le flanc gauche, Vini tente de réveiller la machine offensive blanche. Mais sans son insolente réussite habituelle.
Le succès et la popularité mérités de Vinicius laissent peu de chances à Kylian d’occuper le poste qu’il affectionne. Or, le Français ne semble pas attiré par l’aile droite où Arda Güler piaffe d’impatience de supplanter Rodrygo. Sauf à se convertir en ailier droit, le natif de Bondy serait bien inspiré de se fondre dans le rôle d’avant-centre.
MBP
Décisif et volontiers irrésistible voilà quelques mois, MBP n’est plus explosif. Au centre de l’attaque, Il est trop statique et révèle une inhabituelle maladresse face au but. S’il ne retrouve pas rapidement sa complicité avec le chemin des filets et ne gomme pas son manque de constance, il risque d’être pris en grippe par des socios qui gardent en mémoire ses deux transferts antérieurs avortés suite à ses volte-faces peu appréciées du côté de Chamartín.
Pour que la ferveur que lui a témoignée l'afición madridista lors de son atterrissage en Castille ne tourne en rejet, Kylian ne doit pas oublier qu’il a été recruté très cher, certes comme vedette du showbiz, mais aussi comme buteur implacable.
L’avant-centre
Kylan MBP n’est pas un numéro 9 à l’ancienne, qui se frotte aux défenseurs centraux; souvent dos au but afin de les fixer et s’offrir en point d’appui à ses partenaires pour ses déviations du pied ou de la tête; qui se tient à l’affût d’un centre aérien ou à ras de terre.
Kylian n’est pas un renard des surfaces qui se fait oublier puis jaillit où et quand on ne l’attend plus pour transformer en but un ballon perdu. L’enfant de Bondy n’est pas un de ces centre-avants toujours en mouvement, se présentant systématiquement en soutien du porteur de balle pour susciter des une-deux ou des combinaisons à plusieurs joueurs.
Il faut pourtant qu’il joue davantage sans ballon en offrant à ses partenaires de l’attaque sa disponibilité, à la recherche d’une véritable entente et de leur appui sans réserve.
L’ailier
A droite lors de ses débuts en EdF, puis à gauche au PSG comme avec les Bleus, MBP a su faire parler son culot, son exceptionnelle vitesse de course et d’exécution, sa maîtrise technique et son adresse face au but. Il a besoin de toucher le ballon et attend, pour déclencher ses raids meurtriers, qu’on le serve dans les pieds; ou bien en profondeur, dans le dos des défenseurs.
Depuis son aile gauche, il déborde ses adversaires ou repique au centre et parfois à droite, pour placer ses frappes enroulées, ou bien en ouvrant ou fermant brusquement son pied droit. Il nous a ainsi habitué à claquer une quarantaine de buts par an. En intervenant peu dans le jeu de son équipe.
Malheureusement, depuis plusieurs mois, MBP est l’ombre de la révélation qui a crevé les écrans du mondial 2018. Gare à toi, Kylian, si tu tardes à retrouver la forme et la réussite dignes de ta gloire précoce!
Trop, c’est trop !
Kylian MBP a pris l’habitude d’être servi, que ses partenaires jouent pour lui. Mais au Real, l’équipe n’est pas à son service. S’il veut réussir, il doit changer radicalement de comportement et d’attitude sur le terrain; et s’approprier son rôle d’avant-centre, ou bien se décider à être l’ailier droit qui a su forcer l’admiration de tous.
Sinon, quand il aura fait vendre à la maison blanche suffisamment de maillots et de contrats publicitaires, FP pourrait le répudier et engager un véritable numéro 9 fier d’occuper ce poste qui exige un travail obscur avec constance et comble le buteur.
Pour l’heure, le footballeur MBP gagnerait à se consacrer à son job: marquer des buts en proposant sa disponibilité à ses coéquipiers. Aidé par son entourage et la structure mise en place autour de lui, l’homme public pourrait limiter ses multiples sollicitations à ses obligations publicitaires. En mettant la pédale douce sur certaines opérations de communication et sur le suivi de la gestion de ses investissements, financiers comme personnels; dans l’immobilier, le club de foot racheté, la défense de causes humanitaires ou politiques et autres actions en justice…
En attendant, cette saison où les hommes d’Ancelotti pourraient disputer jusqu’à 72 matches répartis en pas moins de 7 compétitions (!), s’annonce difficile pour le Real Madrid et pour Kylian MBP. Si ce dernier ne réussit pas son challenge, il est à craindre qu’Erling Haaland soit ciblé.
Erling n’a pas la qualité technique de Kylian pour jouer dans les espaces restreints imposés aux attaquants des équipes dominatrices. En revanche, ses extraordinaires qualités athlétiques, son jeu en mouvement, son irrépressible sens du but et sa confiance en lui font du géant norvégien un véritable avant-centre de pointe qui affectionne le duel physique au coeur des défenses adverses.
Et surtout, un redoutable buteur qui, plus que des mots, joue des pieds et de la tête. En donnant des maux de tête à tous les défenseurs de la planète. Prenons acte de la bonne volonté et de l’optimisme affichés hors du terrain par Kylian MBP depuis son atterrissage à Madrid. Et regrettons que sur le rectangle vert, au poste de numéro 9, il semble contraint à jouer contre nature. Gageons que l’intelligence de ce joueur hors normes l’incitera à faire le job et à compléter sa collection de trophées. Possiblement avec la coupe aux grandes oreilles. Mais quand? Et suffisamment pour la conquête du ballon d’or que Bellingham, Vinicius et De Bruyn ambitionnent légitimement? Et que Bukayo Saka, Phil Foden et Harry Kane gardent dans un coin de leur tête.
Toute la science et l’expérience de Carletto suffiront-elles à faire de sa pléiade d’attaquants une division offensive efficiente portée par un milieu de terrain dominant? Heureusement, le Real peut compter sur son coach italien pour faire cohabiter ses cracks dans le vestiaire et sur le terrain.
I had a dream
La triplette des titulaires actuels, Vini-Kylian-Rodrigo, n’est pas synergique. De surcroît, pour Arda et Endrick, la patience n’est pas de mise à deux ans de la coupe du monde qui dicte les mouvements du marché du football.
Endrick sera-t-il cédé en prêt pour un an ou deux? Histoire de ne pas ronger son frein sur le banc des remplaçants, de compléter sa formation et de mûrir comme footballeur et comme homme.
Rodrygo sera-t-il transféré? Si oui, possiblement à City qui vient de perdre l’excellent Julián Alvarez. Pourquoi pas dans le cadre d’un échange Rodri-Rodrygo qui, toute phonétique mise à part, aurait du sens pour le Real Madrid?
Ainsi, pourrait prendre forme un quatuor Rodri-Camavinga-Bellingham-Güler, cavalerie légère et conquérante, chargée de ravitailler en munitions les artilleurs Vini et Kylian.
Afin d’optimiser le jeu offensif dans les couloirs de la maison blanche, la venue des latéraux Alphonso Davies et Trent Alexander-Arnold finalisant leur contrat en juin prochain, complèterait joliment une future nouvelle génération de galactiques. Un 4-4-2 susceptible de séduire Florentino Pérez. D’enchanter les madridistas ainsi que les amoureux du ballon rond dans le monde entier.
Et sans doute, d’engendrer d’ultérieurs maux de tête pour Carlo Ancelotti ou Xavi Alonso… Et pourquoi pas Zinédine Zidane, de retour aux affaires?