Keegan le grand

« Combien de footballeurs peuvent se vanter d'avoir été découverts par une bonne sœur ? », se plaisait à déclarer Kevin Keegan : la directrice de son école religieuse du Yorkshire avait encouragé à jouer au football ce gamin également doué pour le cricket, le rugby et l'athlétisme. Bientôt, Bill Shankly, le manager qui ressuscita le Liverpool FC après une vingtaine de saisons marquées par des revers, recruta cet attaquant de quinze ans qui accumulait déjà les buts en quatrième division anglaise. Shankly n'allait pas regretter son choix car dans les années 70, Keegan devint une icône pop au Royaume-Uni ; s'imposant bientôt pour son aisance et son culot dans les salons autant que sur les terrains de foot ; star des Reds de Clemence, Neal, Kennedy, Hughes, MacDermott... Et vite propulsé image publicitaire de plusieurs marques, en particulier d'un célèbre déodorant. Posant dans un arbre pour une pub, la branche sur laquelle il repose casse. Il reste suspendu par la jambe, sans pouvoir descendre : on le surnomme « Tarzan » !
Le populaire Keegan le grand conduisit Liverpool à la victoire dans 3 Championnats et une Coupe d'Angleterre, 2 Charity Shields, 1 Coupe des Clubs Champions et 2 Coupes UEFA. De petite taille et de grande classe, l'explosif attaquant était un formidable buteur des deux pieds ; et de la tête, grâce à une détente verticale comme horizontale et un timing parfaits ; avec souvent un temps d'avance sur ses adversaires.
Kevin a été l'antidote à la dépression des habitants de Liverpool lors de la séparation des Beatles : quand les 4 garçons dans le vent quittaient la lumière, naissait l'étoile Keegan qui faisait vibrer les foules de fans du côté de la Mersey. Et malgré les tragédies et les hooligans, ces Reds ont dominé l'Europe. Leur Kop mythique d'Anfield Road réunissait les 15 000 supporters les plus passionnés du Royaume-Uni. Ils accueillaient leurs joueurs à la sortie du tunnel d'accès au pitch en chantant à pleins poumons le désormais incontournable « You'll Never Walk Alone ». Petit homme, Keegan le grand est à l'origine du mythe des Reds, qui à ce jour ont notamment remporté la bagatelle de 6 Coupes d'Europe des Clubs Champions.
Trahison
Au sommet de sa gloire britannique, Keegan quitta Liverpool pour rejoindre Hambourg : un choix jugé incompréhensible et mal vécu au Royaume-Uni. À coups d'accélérations meurtrières et de buts décisifs, il ne tarda pas à s'imposer en Bundesliga : Ballon d'Or en 78 et 79, Kevin gagna le cœur du public allemand conquis par la classe du joueur et la personnalité originale de l'homme. La trahison ressentie par les Anglais était considérée comme un acte d'amour aux yeux du peuple hambourgeois.
King Keegan
Le fils de mineur était devenu roi. On ne lui refusait rien. On lui pardonnait tout. Il se faisait régulièrement envoyer son shampooing made in England. Il se fit même livrer son habituelle baignoire anglaise car les standards allemands ne lui convenaient pas !
Manager singulier
En février 92, en pleine saison, Kevin Keegan devenu entraîneur sauva Newcastle d'une relégation quasi certaine. Pour son charisme et pour avoir réussi à relancer le club, les supporters des Magpies le surnommèrent vite « King Kev ». Homme de cœur, émotif, il était apprécié pour la qualité de sa relation avec ses joueurs. Il aura ainsi défendu David Ginola, beau gosse contesté pour une motivation et un comportement sur les pelouses du foot alors moins convaincants que sur les greens du golf. Le populaire manager anglais parvint ainsi à calmer les critiques adressées à l'instable attaquant français.
Cependant, les débats explosifs de Keegan, ses réparties surprenantes, son humour décalé mis en relief par des propos humoristiques, firent du manager coqueluche des médias un personnage très recherché par les tabloïds en quête de sensationnel. Attachant, volontaire, souvent ridicule mais toujours sincère, ce coach singulier détonnait dans un football anglais encore marqué par la tradition. Ses causeries de motivation pouvaient évoquer du théâtre amateur ; selon certains, « entre les Monty Python et un drame shakespearien ». Avant un match de Newcastle, devant le tableau noir, Keegan annonça à ses joueurs : « ce soir, on joue comme ça... » Puis d'ajouter : « enfin, ça sert à rien tout ça. Jouez comme vous le sentez ! » Il tenait parfois des propos désarmants pour un sélectionneur des Three Lions ; du genre : « je n'ai pas de messages compliqués à faire passer aux joueurs. Et même si j'en avais, je ne saurais pas les dire ». Du fameux buteur Alan Shearer, il déclara un jour : « il a une bonne tête. Très bonne tête. Même sans le ballon ». Fut moins apprécié ce diagnostic sévère du docteur Keegan : « je pense que le football anglais est très en avance sur son temps... mais seulement de 10 ans de retard ! »
Pour l'establishment anglais, autant d'épisodes « shocking » de la part d'un sélectionneur national qui, après l'avoir refusée, en exerça la fonction ; puis, après une défaite, démissionna... dans les toilettes du stade ! Malheureusement, de tels propos et attitudes ont fait oublier les bons résultats obtenus par ses équipes grâce aux qualités de ce coach singulier.
Pour l'histoire, amis de Tiro Libre, Kevin Keegan reste le grand footballeur qui a mis les Reds sous le feu des projecteurs : respect.