Aulas, un mal aimé

Sans les années Aulas, que serait l'Olympique Lyonnais ? Et où en serait le football féminin en France ? Poser ces deux questions, c'est déjà y répondre. Jean-Michel Aulas ne laisse pas indifférent. Vrai, il est loin de faire l'unanimité. Ne manquent pas les personnes qui lui reprochent une gestion autoritaire et plus d'une de ses décisions. Il a été critiqué pour sa personnalité jugée envahissante, son caractère clivant et ses déclarations polémiques, sources de relations tendues avec certaines instances du football et d'autres clubs. Son départ a soulevé des interrogations sur sa gestion à long terme, d'aucuns estimant qu'il n'a pas assuré pour son club de cœur la meilleure des transitions à l'heure d'affronter les évolutions du football moderne. Si l'homme n'échappe pas aux critiques, rien d'étonnant : en France, on n'aime pas les gens qui réussissent. Surtout dans la durée. On trouve de (fausses) bonnes raisons de les critiquer, minimiser leur action, mettre en doute leurs succès. Au sein d'une opposition indignée par le « pouvoir personnel » du Général de Gaulle, l'aspirant à la fonction présidentielle François Mitterrand ne fustigeait-il pas la Constitution de la Ve République ? Avant de l'appliquer durant ses deux septennats au sommet de l'État, en s'empressant de ne jamais la faire modifier ! Une Constitution aujourd'hui à nouveau sur la sellette… Une certitude, pourtant : Aulas aura marqué l'histoire du football français.

Le gestionnaire

En 1987, quand il prend la tête de l'Olympique Lyonnais, le club est criblé de dettes et végète en Division II. L'OL est alors une « équipe de coupe » dont les heures de gloire remontent à la formation dirigée par l'entraîneur Jasseron, de 62 à 66. Avec une coupe de France et des places d'honneur en championnat. Les figures marquantes de cette formation sont l'extroverti gardien Marcel Aubour ; l'arrière droit « offensif » Jean Djorkaeff dit « Tchouki », père de Youri, champion du monde 98 ; l'appliqué et opiniâtre milieu de terrain Aimé Jacquet, futur artisan principal de la première étoile des Bleus ; les attaquants franco-argentins Angel Rambert, faux ailier et vrai technicien et l'imposant centre-avant Nestor Combin, grand buteur qui, avec son complément « le petit prince » Fleury Di Nallo, formait un duo séduisant et redoutable. Parmi les autres joueurs de renom ayant porté les couleurs de l'OL, figurent plus tard le lutin Chiesa ; Bernard Lacombe, attaquant complet, bientôt buteur stéphanois puis bordelais, comptant 38 sélections, entraîneur, recruteur de l'OL et longtemps fidèle directeur sportif de Jean-Michel Aulas.

Fort de son leadership, le nouveau président assainit les finances du club rhodanien en développant un modèle économique solide qui inscrit l'Olympique Lyonnais dans le paysage du foot français sur lequel il impose sa domination de 2002 à 2008 : les Gones remportent alors 7 titres de champions de France consécutifs, 6 trophées des champions, 2 coupes de France, 1 coupe de la Ligue ; et en Europe, ils disputent 3 quarts de finale et 2 demi-finales de Ligue des Champions. Une ère de triomphes rendus possibles grâce à une pléiade de joueurs emblématiques réunis par le très présent président « JMA » : le maître à jouer brésilien Juninho, un des meilleurs tireurs de coups francs (ces fameux « tiros libres » chers aux Argentins !) du monde ; les autres Brésiliens, l'attaquant globe-trotter attachant Sonny Anderson, les défenseurs Cris, « le policier » et le solide Caçapa ; Éric Abidal, dont le nom reste gravé dans l'épopée du Barça ; l'excellent gardien Coupet, malheureusement condamné au banc des remplaçants de la sélection française par l'incontournable Fabien Barthez, fabulous Fab ; le faux ailier explosif Malouda ; l'infatigable Wiltord ; Govou ; Fred, autre Brésilien ; Carrière ; la pépite Benzema…

Avisé gestionnaire, Aulas aura investi rentablement dans le centre de formation de l'OL, dont la réputation s'est affirmée dans l'Europe du ballon rond ; avec l'éclosion de générations de jeunes talents spécialement motivés par l'exemple des pépites Benzema, Ben Arfa, Lacazette…

En point d'orgue aux succès de sa gestion, Jean-Michel Aulas dote l'Olympique Lyonnais du Groupama Stadium, de près de 60 000 places, arène d'attraction pour les amateurs de foot et d'autres spectacles. Suite à la cession de l'OL à la holding de John Textor, Aulas rachète à Eagle Football pour 70 millions ce stade qui, à la construction, en aurait coûté 141 !

Le visionnaire

Jean-Michel Aulas était conscient de l'énorme potentiel du football féminin. Il était attiré par son moindre coût, comparativement aux dépenses exorbitantes requises pour être acteur sur le marché du foot masculin. Le visionnaire se lance tôt dans le pari qui deviendra son grand succès planétaire : l'investissement sur la section féminine de l'OL. Car il ne tarde pas à faire des Fenottes l'une des meilleures équipes au monde. Avec 8 triomphes en Ligue des Champions, un record, dont cinq consécutifs ; 16 titres de championnes de France ; 9 coupes de France. L'engagement d'Aulas signe un pas décisif dans la professionnalité et la reconnaissance de notre football féminin. Précurseur dans l'hexagone, Aulas devient dès lors figure de référence mondiale pour tant d'autres institutions qui suivent son exemple. En particulier le Barça et les grands clubs européens.

L'héritage

Pour la ville des frères Lumière et de Bocuse, l'héritage de Jean-Michel Aulas est un Olympique Lyonnais respecté en Europe, avec des Fenottes inspirant admiration et crainte au-delà de notre continent. Pour la France, le legs c'est un foot féminin en marche, qui a gagné la considération des Américains. Songeons aux gestions dispendieuses qui se sont succédé dans la capitale, du Racing Club de Paris au Stade Français, du Red Star au Racing Matra et jusqu'à certaines directions du PSG ; avec rarement des résultats sportifs à la hauteur des investissements. On doit alors conclure qu'Aulas mérite le respect de tous les amoureux du foot. Un sentiment que ne saurait susciter la direction qatarie de l'actuel PSG, dont l'incompétence managériale et la gabegie financière laissent pantois. Souhaitons que l'arrivée de la famille Arnault à la tête du Paris FC consacre l'union de la passion du football et de la compétence. Dans l'esprit d'Aulas. Et de grâce, reconnaissons le mérite des hommes d'affaires et mécènes qui engagent leurs deniers propres pour nous faire partager le merveilleux spectacle que peut offrir le ballon rond !

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