Berlusconi le révolutionnaire

Berlusconi le révolutionnaire

En rupture avec une Italie longtemps baignée dans la culture de la victoire à tout prix en s'appuyant sur son catenaccio, Silvio Berlusconi a révolutionné le calcio : il a imposé le jeu offensif spectaculaire d'un Milan AC qu'il a recueilli à la dérive et porté sur le toit de l'Europe pendant trente ans, dont une décennie de règne absolu.

L'homme d'affaires

L'insolente réussite de l'insatiable Berlusconi, affirmée dans tant de secteurs (immobilier, télévisuel, commercial, sportif, politique…) a fait de ce personnage haut en couleurs la figure de proue d'une dynastie d'industriels, nouveaux condottieri rêvant d'être les artisans d'un autre miracle économique italien. Avec une fortune estimée à plusieurs milliards d'euros, constituée en quelques années, Silvio Berlusconi est devenu un des hommes les plus riches d'Italie. Faut dire que l'exubérant bâtisseur de Milano II, Sua Emettenza, Président du Milan AC, Cavaliere del Lavoro et Président du Conseil d'Italie, qui a bousculé les traditions du monde des affaires en péninsule italienne, était doté d'intuitions de visionnaire. Et il ne manquait pas de culot !

Le Président du Milan AC

En 1986, Silvio Berlusconi rachète le Milan, double vainqueur de la Coupe d'Europe des Clubs, alors à la dérive : au bord de la faillite et à la lutte pour le maintien en série A. Il met au service du club rossonero les ressources de sa holding Fininvest et son flair de businessman. Sua Emettenza veut produire un grand spectacle télévisuel en faisant triompher un football résolument offensif ; qui encore aujourd'hui influence nombre d'équipes au monde. Dès 87, il intronise Arrigo Sacchi, un entraîneur avec seulement deux ans d'expérience du haut niveau à Parme, qui prône le jeu que veut Berlusconi. « Entre Sacchi et l'équipe, je choisis Sacchi » déclare le nouveau président.

Le coach ne trahit pas sa confiance. Les rouges et noirs imposent leur 4-4-2 avec une défense en zone alignée, haute sur le terrain pour être rapprochée des joueurs du milieu. Ils n'hésitent pas à attaquer en nombre à l'extérieur ; où la plupart des formations transalpines bétonnent, arc-boutées dans leur moitié de terrain. En 88 est déjà gagné le scudetto, ce trophée attendu depuis neuf ans par les tifosi milanistes. Commence alors la marche vers l'Europe, guidée par un Sacchi devenu il mago di Fusignano rejetant la philosophie italienne de la recherche du résultat sans la manière.

Sylvio Berlusconi offre ainsi aux amoureux du football le spectacle d'une des équipes les plus dominatrices de l'histoire du ballon rond. Il avait vu juste. Comme quand il recrute le fameux trio hollandais Gullit-Rijkaard-Van Basten, qui en 88 et 89 occupent les 3 premières places au Ballon d'Or (!). Berlusconi remémore aux tifosi le Gré-No-Li suédois du grand Milan des années 50, ce « trident magique » composé de Gren, il professore, du prolifique buteur Nordahl, et du Barone Liedholm, cerveau de l'équipe.

Un Milan où brillèrent Cesare Maldini, le libero qui jouait la tête haute, l'as uruguayen Schiaffino (responsable du deuil brésilien consécutif à la défaite des auriverde en finale de la coupe du monde 50… au Maracana !), le gentleman Suédois Hamrin… Les Milanistes en oublient aussi leur grande équipe des années 60, dont les étoiles autour de Cesare Maldini s'appellaient José Altafini (l'avant-centre de la Seleccao blessé juste avant le mondial de 58, qui dut céder sa place de titulaire au jeune Edson Arantes do Nascimento, dit Pelé...) et le golden boy Gianni Rivera, roi de la passe et buteur patenté, ballon d'or, beau gosse aussi élégant et intelligent dans la vie que sur le terrain (les crampons au clou, il fut appelé à une longue carrière politique de député, secrétaire d'état, député européen).

Le Milan de Berlusconi est l'équipe des records : la première et la seule en série A qui aura enchaîné 58 matches sans défaite. Sa magnifique troïka battave s'appuie sur l'intraitable défense commandée par Baresi, maître dans le déclenchement du hors-jeu piège, assisté du grand Paolo Maldini, digne fils de Cesare, du fidèle Tassotti et de Costacurta ; ces défenseurs de la squadra azzurra battue en finale de la coupe du monde 94 par le Brésil aux pénaltys, sans avoir encaissé le moindre but pendant toute la compétition. Et ne demandez pas aux Madridistas s'ils ont oublié la manita subie par les merengue à San Siro lors d'une demi-finale retour de coupe d'Europe !

De l'impressionnant palmarès du président canibale, retenons en Europe 5 titres de champions, 2 de vice-champions ; en Italie 9 scudetti, dont 5 consécutifs ; 2 coupes intercontinentales… Et surtout, la révolution mentale et tactique du football italien conduite par Sacchi, voulue par Berlusconi : l'intelligence collective prime ; et la défense, c'est l'attaque en avançant et le pressing ! Lorsque le mage prend la direction de la sélection italienne, le président ne se trompe pas pour assurer sa difficile succession : Capello, ancien numéro 10 de la Juve, n'a pratiquement pas d'expérience comme coach ; ni son remplaçant Ancelotti. Tous deux, pourtant, complètent la moisson de trophées de l'AC Milan.

Là encore, le recruteur Berlusconi s'avère décisif dans les succès des Rossoneri. Car viennent embellir la Cour du magnat milanais les Ballons d'Or Roberto Baggio il codino, Papin, le gentil chrétien évangélique Kaka, ambassadeur du programme alimentaire mondial, il (ou el) fenomeno Ronaldo Nazario, le génial et fantasque Ronaldinho, « Mister George » Weah ; accompagnés des Robinho, Bierhoff, Serginho, Savicevic, Boban, Desailly, Inzaghi, Seedorf, Ibrahimovitch, Cafu, Thiago Silva… Autant de noms dont la seule évocation fait rêver les amateurs de foot.

L'homme d'état

Supporter de l'AC Milan depuis l'enfance où son père le conduisait au San Siro, Berlusconi a installé son club de cœur au second rang des formations européennes avec 7 coupes aux grandes oreilles et 4 titres de vice-champions d'Europe. Et être à la tête de l'entité rossonera a été pour l'homme d'affaires et de communication un tremplin vers le pouvoir. « J'ai choisi de descendre sur le terrain » déclare Silvio Berlusconi en janvier 94, annonçant son lancement en politique. Son Milan vient de remporter sa troisième coupe d'Europe et lui promet à ses compatriotes d'appliquer à la vie politique ses recettes victorieuses en football.

Comme il a mené son club au sommet, il propose de conduire l'Italie à la table des grandes nations de ce monde. En créant son parti Forza Italia, il bâtit une nation de supporters, ouvrant un long chapitre de l'histoire du sport et du populisme nationaliste, qui fleurit (trop) dans le monde actuel. Le voilà auteur d'une révolution politique qui fait de lui le leader d'une coalition de centre droit dominant longtemps la vie politique italienne ; en particulier 9 ans comme chef du gouvernement, à la faveur de la constitution et du renversement d'alliances dont le pays est coutumier. Silvio Berlusconi établit ainsi le record de durée des Présidents du Conseil de l'après-guerre transalpine.

Un personnage

La carrière et la vie révolutionnaires de l'inventeur du télépopulisme qui s'affranchit des règles et des lois en se moquant des élites aura fait couler de l'encre. Berlusconi a suscité les polémiques : l'homme le plus riche du pays, Sua Emettenza, possédait un empire médiatique avec, entre autres, trois des principales chaînes de télévision ; tout en contrôlant la Rai par l'intermédiaire de son gouvernement. Il a incarné la collusion entre ses intérêts personnels de chef d'entreprise et les activités de chef d'état qui lui firent adopter des lois favorisant son business.

Provocateur, Berlusconi dont on a pu dire qu'il a préfiguré Donald Trump, a été raillé pour son comportement outrancier, son apologie du « bunga bunga »… Sa fulgurante ascencion n'est pas sans lien avec la mafia. Son fidèle ami et avocat Marcello Dell'Utri, cofondateur de Forza Italia, fut d'ailleurs condamné et incarcéré pour collusion avec Cosa Nostra. Il a fait l'objet de nombreux procès pour corruption, prostitution de mineure, il a été condamné pour fraude fiscale...

À Tiro Libre, en dépit de l'homme, on garde le souvenir des exploits d'un grand Milan qui nous a fait vibrer. Et on lui est reconnaissants d'avoir guéri l'Italie d'une maladie contagieuse ayant essaimé sur toute la planète foot : la philosophie défensive et l'anti-jeu. Ce, en hissant les couleurs rouges et noires au deuxième rang mondial derrière l'intouchable Maison Blanche du Real Madrid.

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