Le premier pibe de oro

Le premier pibe de oro

« El pibe de oro » désigne Diego Armando Maradona. Un surnom que dans la deuxième moitié des années 50, les Argentins donnaient déjà à un autre crack : Enrique Omar Sívori, dit Omar Sívori, un footballeur et un personnage de légende ; lui aussi gaucher de petite taille, à la technique spectaculaire, élégant ; et un rebelle effronté qui parlait comme il jouait, avec panache et sans excuses. Un talent brut qui a charmé de ses exceptionnelles qualités et de son arrogance les aficionados du River Plate de Buenos Aires, le grand rival du Boca Juniors ; puis les tifosi de la Juventus de Turin durant 8 saisons ; et les chauds supporters napolitains pendant quatre ans.

Légende de la Juve

Né d'une modeste famille d'origine napolitaine, Sívori est titulaire en équipe première du River à 17 ans ; où il brille par sa technique, sa malice, ses buts et ses dribbles déroutants. Très bas sur ses appuis, il possède déjà une vision du jeu pertinente, un tempérament, une passion pour le show... Et il aime piquer l'adversaire ! Il joue souvent chaussettes baissées, sans protège-tibias qui l'empêchent, dit-il, de « bien sentir la balle ». Un choix risqué face aux rugueux défenseurs de l'époque, attestant une audace et une totale confiance en ses dribbles, ses feintes, ses contre-pieds. Champion d'Argentine entre 55 et 57, c'est un pilier de la sélection albiceleste victorieuse au Pérou de la Copa América 1957 ; une équipe entrée dans l'histoire pour le jeu flamboyant du trio d'attaque que Sívori forme avec Maschio et Angelillo, appelé Los Ángeles de las Caras Sucias, « les anges aux sales gueules ». Des anges qui écrasent la Colombie 8-2 et les éternels rivaux brésiliens 3-0. Juste après ce triomphe, tous trois émigrent en Italie, où les oriundi, ces sud-américains dont les ancêtres sont originaires de la péninsule, obtiennent la nationalité italienne. À temps pour le sacre de Sívori, récompensé du Ballon d'Or réservé alors aux footballeurs européens. Mais au grand dam des Argentins, dont la sélection se retrouve affaiblie avant la Coupe du monde 1958. Sous le maillot de la Vecchia Signora, dans « le trident magique » composé avec le géant gallois John Charles et Giampiero Boniperti, Sívori atteint les sommets en matière de jeu et de réalisations, avec 3 scudetti, 3 Coppe d'Italia, 147 buts en 263 matchs et le titre de capo cannoniere, meilleur buteur, en 60 avec 27 buts. En désaccord avec le système « tourbillon » imposé par son coach paraguayen, Sívori s'engage au Napoli, qui devient une des meilleures équipes de Serie A. Tandis que la Juve connaît des années difficiles.

« El cabezón »

Gaucher, Sívori était appelé el gran zurdo ; et surtout el cabezón, « la grosse tête » ; officiellement, non pas en référence à son ego, mais à sa tête plus grosse que la moyenne pour son gabarit. En fait, il convient d'entendre « le têtu » !

Terreur des défenseurs

Omar Sívori n'a jamais gagné la Coupe d'Europe. Le but le plus important de sa carrière, il l'a réalisé en demi-finale à Madrid, en 62. La Juve avait perdu au match aller à Turin. Et contre toute attente, Sívori inversa le résultat d'un puissant tir croisé qui eut un énorme retentissement : il mettait fin à l'invincibilité du grand Real Madrid du maître hispano-argentin Don Alfredo Di Stéfano, autre ancienne gloire du River ; en son antre de Chamartín ! Son pied gauche magique faisait d'Omar Sívori un as du dribble et le roi du túnel, le petit pont, que ce provocateur irrévérencieux prenait un malin plaisir à infliger à ses adversaires. Il a été l'un des tout premiers footballeurs qui, régulièrement, réalisait à la perfection ce geste nécessitant une rare maîtrise technique. Faut dire que le magicien au dribble moqueur était un guerrier et un incorrigible chambreur, dans la tradition argentine. Bien avant le grand gardien actuel Emiliano Martínez ! Omar a ainsi enflammé le Piémont par son sens du spectacle et son caractère volcanique, autant que par son singulier talent : combien de fois, après avoir mystifié un adversaire, il s'est arrêté, a mis le pied sur le ballon et attendu sa victime en la narguant, puis l'a dribblée à nouveau ! Il aura ainsi ridiculisé les meilleurs défenseurs du Calcio. Un jour, il dribble un opposant, puis un autre et enfin le gardien. Mais au moment de pousser la balle dans le but, il fait demi-tour... et va dribbler chacun de ces joueurs ! John Charles ne décolère pas. Tandis que le public bianconero, friand des provocations du génie, exulte ! El cabezón refusait souvent de se plier aux consignes de son coach, préférant enchanter le public de ses prouesses individuelles plutôt que se fondre dans le jeu d'équipe. Ce qui lui valut des conflits avec ses entraîneurs, en particulier « HH », Heriberto Herrera. À ce dernier lui reprochant de trop dribbler, il promet de « penser à l'équipe ». Et au match suivant, il plante 6 buts à l'Inter, record historique de Serie A en 61. Il défie alors le coach : « j'ai aidé l'équipe à gagner, c'est ce que tu voulais, non ? »

Hantise des arbitres

L'artiste exubérant dribblait, raillait, sautait, marquait... et râlait auprès des arbitres. Ses sautes d'humeur lui valurent des démêlés avec les hommes en noir ; et de nombreuses suspensions : sifflé pour une faute, sourire narquois, un peu plus fort que d'habitude il applaudit ironiquement l'arbitre : carton rouge ! Il continue cependant, en regardant le referee droit dans les yeux. En 12 saisons italiennes, il aura été suspendu 33 fois ! Lors du Mondial de 62, Sívori a été banni pour avoir insulté un arbitre. Cette suspension à vie a sonné la fin de sa carrière internationale dans la Squadra Azzurra. Décidément, l'ancien « sale gueule » est resté un sale gosse... Auquel sera confiée en 73 la direction sportive de l'albiceleste !

Rendons à César...

Sívori est mort en 2005 des suites d'un cancer pancréatique, à 70 ans. Beaucoup le considèrent comme le Maradona des années 60 pour sa créativité, son génie individuel et son style provocateur. Un des plus beaux joyaux de l'école de River Plate ; dont le centre d'entraînement porte toujours son nom. Enrique Omar Sívori est entré au Hall of Fame de la Juventus de Turin. Vrai, les excès comportementaux observables chez les artistes, en particulier les génies, ne doivent pas nous faire oublier le bonheur qu'ils donnent à des générations ; qui explique leur popularité et le culte dont ils peuvent faire l'objet. Car le foot reste un spectacle. Et doit être une fête !

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