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Mbappé : marinero ou capitán?

Mbappé : marinero ou capitán?
Photo by Sipan Hamed / Unsplash

Le poids de l'héritage

Du jour où Mbappé a hérité du brassard de capitaine, l’équipe de France a perdu le joueur décisif qui faisait gagner les Bleus et suscitait tous leurs espoirs de conquêtes; le joyau dont rêvait le monde entier du football.

Et la sélection nationale française a vu succéder à Hugo Lloris (qui à défaut d’être un leader charismatique au verbe haut, avait offert à une équipe encore convalescente de la désastreuse campagne d’Afrique du Sud, la garantie d’un capitaine sérieux et d’une discrétion exemplaire) un jeune soliste brillant peu préparé au rôle de capitaine: un attaquant souvent irrésistible, homme de communication apprécié des médias, mais un buteur porté plus sur l’exploit individuel que sur l’animation offensive de ses partenaires.

Soucieux de rassurer les sceptiques, Kylian jouait davantage en soutien de ses coéquipiers afin de bonifier le collectif bleu. Ainsi, petit à petit à petit, il reculait sur le rectangle vert. Son jeu devenait moins vertical. Le conquérant était moins explosif.

A mesure que l’Euro 24 approchait, le lion indomptable se faisait chat, selon l’image de Mourinho face aux débuts décevants de Karim Benzema au Réal Madrid. Au long des épisodes à rebondissements du feuilleton hyper médiatisé de son transfert au Real, stressé par les menaces et brimades de NEK, le PDG du PSG, Kylian perdait progressivement la forme, fatigué physiquement et moralement. Par son attitude et son comportement, il n’était pas exempt de reproches.

Malgré la baisse de rendement de l’enfant de Bondy, Didier Deschamps lui maintenait sa confiance, compte tenu en particulier de ses exceptionnelles qualités de joueur, de sa forte motivation manifestée pour conduire l’EdF; et de son leadership affirmé au sein du groupe lors du succès de sa négociation des droits financiers liés aux contrats publicitaires des Bleus.

L’échec de l'Euro 2024

Au sortir des poules qualificatives au second tour de l’Euro, la pauvreté des prestations de Kylian, sa surprenante maladresse devant le but et plus encore son manque d’implication, auraient justifié de le délester de la charge de capitaine pour lui permettre de se consacrer à sa mission d’attaquant déterminant. Griezmann n’étant pas non plus au meilleur de sa forme, N’Golo Kanté, estimé de tous, aurait pu assurer l’intérim.

Une certitude: un Mbappé spectateur de ses coéquipiers montant au pressing quand l’équipe est menée au score, n’incitait pas les Bleus à la révolte nécessaire pour renverser la table et s’ouvrir les portes de la finale.

Mais Didier Deschamps n’a pas osé démotiver davantage son joueur phare en désavouant un Kylian dont on peut toujours attendre quelque exploit.

Et Mbappé, frustré car condamné depuis plusieurs mois à l’alternance entre le terrain et le banc de touche du PSG, aurait du s’entraîner sérieusement en compagnie de son coach personnel afin de se maintenir en forme pour l’Euro, lui qui affichait l’ambition d’un titre olympique dans la foulée d’un sacre européen.

Le challenge du Real Madrid

Au Real, on privilégie les capitaines qui prêchent par l’exemple et se dévouent au collectif. Le Kylian actuel ne devrait donc pas de sitôt être responsabilisé de l’encadrement de ses talentueux compagnons de route. Il pourra ainsi donner le meilleur de lui-même: provoquer les défenseurs adverses en faisant jouer son extraordinaire vitesse de course et d’exécution.

Mais il lui faudra se fondre dans un collectif en reconstruction, avec les départs des regrettés Toni Kroos et Nacho, la semi-retraite de Modrić. Et l’affirmation du populaire Vinicius à l’aile gauche, le poste de prédilection de Kylian.

La soudaine notoriété du jeune prodige portant en 2018 la France sur le toit du monde, puis son objectif maintes fois déclaré de conquérir le ballon d’or, au sein d’une meute où Vinicius et Bellingham partagent légitimement cette ambition; tandis que pointent le nez de jeunes loups de la trempe de l’impressionnant Arda Güler et de la pépite annoncée Endrick, créent des obligations et seront source de jalousies. Aussi Kylian gagnerait-il à compléter son jeu fait de fulgurances par une indiscutable continuité.

Il ferait bien également de s’imprégner des valeurs morales qui font la force de l’Institution madrilène. Discrétion, modestie, partage de l’effort, solidarité seront opportunes s’il veut être accepté par des coéquipiers aux égos inflatés par tant de triomphes; et sous le regard d’un public particulièrement exigeant. Car les « madridistas » sont habitués depuis trois quarts de siècle à voir évoluer la fine fleur des footballeurs de la planète. N’entretiennent-ils pas le culte de Don Alfredo di Stefano, ce magnifique animateur plein champ, aidant ses défenseurs, buteur prolifique et leader incontesté?

Pour réussir son entrée dans le plus grand club du monde, encore faut-il que Kylian arrive en bonne forme. Et donc, après de courtes vacances, qu’il travaille dur. S’il veut être apprécié par le vestiaire et aimé de l' « afición », il devra le mériter sur le terrain comme en dehors.

Les récents échecs retentissants de Gareth Bale et plus encore, d’Eden Hazard, meilleur joueur de Ligue 1 deux années successives, puis de Premier League et annoncé comme « el principito », le petit Prince belge, doivent servir de leçon au prince des banlieues parisiennes: après un faux départ pour cause de surpoids, le sympathique Eden a cumulé blessures et prestations médiocres. Or, une fois qu’il a pris en grippe un footballeur, le socio merengue si difficile à contenter, peut se comporter comme l’intraitable abonné au tendido 7 de Las Ventas. La chasuble blanche se fait plus pesante. Et la bronca de 80 000 personnes agitant leurs panuelos blancos devient alors aussi dure à porter que l’habit de lumière.

La sagesse et la science de Carlo Ancelotti, entraîneur au gant de velours, pour qui l’esprit d’équipe n’est pas un vain mot, ne seront pas de trop pour faciliter l’incorporation d’un Mbappé qu’il n’avait pas spécialement désirée.

Gageons que Florentino Pérez, qui en son temps avait chargé Don Alfredo de vendre à la bande à Raoul, à la presse espagnole et aux socios du club la prise de pouvoir de Zinedine Zidane, aura déjà demandé à Zizou d’accompagner et d’aider Kylian dans le challenge qui l’attend, comme le grand numero 5 avait fait pour sauver Benzema de l’exil promis par Mourinho.

Les madridistas sont prêts à aduler Kylian s’il répond à leurs attentes. Sinon, ils seront sans indulgence. Ils n’ont pas oublié que leur nouveau numéro 9 leur a fait faux bond à deux reprises, dont une où les maillots à son nom étaient déjà imprimés, le genre de vexations que les socios ne pardonnent pas facilement.

Marinero Mbappé

Passée sa méforme présente, Mbappé devrait redevenir un attaquant hors normes capable de gagner le coeur des Madrilènes.

Toutefois, aujourd’hui, il doit accepter son changement de statut. Car si le projet du PSG était bâti autour de l’enfant de Bondy (avant qu’il annonce sa décision de ne pas prolonger son contrat), au Réal il sera accueilli en superstar comme le fut CR7 Ronaldo. Mais pas en patron.

Capitán Kylian

S’il est vrai qu’un homme averti en vaut deux, Mbappé devrait gagner son challenge. D’autant que, outre ses exceptionnelles qualités de footballeur, il ne manque pas d’atouts: sa bonne relation personnelle directe avec Florentino Pérez et Zinedine Zidane, sa parfaite connaissance de la langue castillane, sa proximité avec ses partenaires de l’équipe de France…

Une fois son atterrissage réussi au Réal, il pourra se fixer un nouvel objectif: conduire le onze de France en capitaine triomphant. Kylian est intelligent. Et il a une chance: il est bien entouré. Bien conseillé par son entourage familial. Dans sa quête du Graal, le ballon d’or, souhaitons-lui de s’éviter le parcours initial chaotique de Benzema avant le final triomphal.
A suivre.