Gianni Rivera : le cerveau

Gianni Rivera : le cerveau

Premier « véritable Ballon d'Or italien » en 1969 (l'oriundo Sívori couronné en 62 venait d'être naturalisé à son arrivée en Italie), Gianni Rivera incarnait le meneur de jeu à l'ancienne : ce footballeur qui donne le tempo à ses partenaires et aux matchs ; habile à trouver l'espace, délivrer la passe, créer le décalage ; capable d'un éclair de génie ou d'une frappe irrésistible. Rivera était tout cela, à la fois instinctif et rigoureux. Avec une rare élégance. Sa svelte silhouette a longtemps embelli les terrains du Calcio de cette sobre beauté naturelle balle au pied, qui a longtemps accompagné sa souveraineté sur le milieu de terrain du Milan AC et de la sélection transalpine. Grâce à une technique particulièrement fine, une immédiate vision du jeu hors norme, un sens de l'esquive et une intelligence rarement prise en défaut, Rivera distillait ses caviars pour ses coéquipiers. Son partenaire Prati disait de lui : « Il est capable de te transmettre la balle dans les pieds en te tournant le dos » ! Il était doté, en outre, d'une singulière faculté de disparaître… avec le ballon ! Au point que plus d'un adversaire chargé de son marquage a difficilement trouvé le sommeil à la veille de l'affronter.

D'indécrottables inconditionnels d'un football qui privilégie les joueurs athlétiques le qualifiaient de « freluquet ». Droit dans ses bottes à crampons, Gianni n'avait que faire de leurs quolibets. Il avait l'art de rendre simples et beaux des gestes techniques peu appréciés des chantres du sinistre catenaccio ; en ces années 60 et 70 qui ont pourtant vu défiler dans la péninsule italienne nombre des meilleurs joueurs de la planète foot. Des commentateurs au raccourci (trop) facile ont attribué au numéro 10 du Milan AC des pieds de Sud-Américain et une tête d'Européen. Après une défaite de l'Angleterre lors d'une rencontre amicale, interrogé sur les 5 meilleurs joueurs de la squadra azzurra, Alf Ramsay, le sélectionneur des Three Lions, avait déclaré : « Rivera, Rivera, Rivera, Rivera, Rivera ». Malheureusement, le dogme du jeu défensif italien a fréquemment bridé le talent créatif de cet admirable play maker ; ce joueur qui aura donné un sens poétique à un foot rendu mesquin, brutal et parfois méchant, pour lequel « seul compte le résultat ».

L'enfant prodige

Ce phénomène fait ses premiers pas en professionnel à 15 ans, dans sa ville natale d'Alessandria. À 16 ans, il est titulaire au Milan AC où il restera 19 saisons, dont 13 comme capitaine. À 18 ans, il remporte son premier scudetto. Et à 20 ans, il est Champion d'Europe. Des détracteurs le surnomment toutefois « l'abatino », le petit abbé en raison de sa finesse, son élégance et fustigent son refus de défendre. Lui persiste : « Je ne vais pas courir après un ballon que d'autres peuvent récupérer pour moi ».

Le golden boy

Gianni Rivera a mené le Milan AC à la conquête de 3 scudetti, 4 coupes d'Italie, 2 Coupes des Clubs Champions, 2 Coupes des Coupes, 1 Coupe Intercontinentale. « À 81 ans, toujours délié, impeccablement coiffé et vêtu, ce tennisman assidu ne manque jamais de le rappeler : « On m'a volé d'autres titres » ; dans une Italie où les grands clubs de Lombardie reprochent régulièrement à la Juve piémontaise, très populaire dans le Mezzogiorno, de bénéficier régulièrement d'une clémence arbitrale suspecte. Rivera a été sacré « capo cannoniere » en 72-73 et Ballon d'Or en 69. Avec l'équipe nationale, le Champion d'Europe en 68 et Vice-Champion du Monde en 70 a disputé 4 Coupes du Monde. Rivera est le meilleur buteur des milieux de terrain de l'histoire italienne. Et le franc-parler de l'immodeste Gianni lui vaut des inimitiés ; notamment dans la presse transalpine.

Rivera ou Mazzola ?

À cette époque, les sélectionneurs de la squadra azzurra étaient imprégnés du catéchisme qui gangrenait le catenaccio : hors jeu défensif, point de salut ! Valcareggi ne s'est pas libéré de cette règle incontestable. Il a évité d'affronter les polémiques liées à la rivalité entre Rivera et Mazzola, les deux stars du Milan et de l'Inter, entretenue par une presse friande de problèmes, à défaut de scandales. Le CT, commissario tecnico de l'équipe nationale, a relégué l'inspiré créateur rouge et noir au rôle de figurant, au profit du volontariste coureur infatigable noir et bleu. Pour leurs qualités complémentaires, il est dommage que ces deux grands joueurs n'aient pas été associés. Sûr qu'à la place de Valcareggi, les Zagallo, Schön ou Hidalgo auraient concocté un fameux duo avec les Milanais. Hélas, au mondial 70, le petit prince de San Siro a été souvent sacrifié sur l'autel de la staffetta, le relais instaurant un partage inégal du temps de présence entre les deux cracks. De la finale perdue contre le grand Brésil du roi Pelé, Gianni Rivera n'aura joué que les 6 dernières petites minutes, la messe étant dite. Alors qu'en signant le but de la victoire précédente, il venait de qualifier l'Italie pour la finalissima. Une mise à l'écart qui n'a pas éteint les polémiques…

L'autre homme public

Rivera était un homme réfléchi, cultivé. Lorsqu'il raccroche les crampons après vingt ans de foot, ce cerveau aux multiples facettes entreprend une carrière d'homme politique et de dirigeant. Comme pendant ses 20 années à fouler le rectangle vert, durant 22 années de parlementaire et de dirigeant à la Fédération italienne de football, Rivera met son intelligence au service de la nation, du football italien et de son club de toujours, pour défendre une certaine idée de l'élégance. Vice-Président du Milan AC pendant 7 ans, il se retire quand Berlusconi s'empare de la Présidence du club : la franchise de l'ancien capitaine et sa rectitude s'avèrent incompatibles avec les pratiques du sulfureux milliardaire ; auquel il s'opposera dès l'entrée du Cavaliere en politique. De 87 à 2001, il est élu Député de la République italienne, puis siège au Parlement européen. Il milite pour une réforme de la gestion du sport, une meilleure transparence dans les fédérations, un investissement véritable dans la formation et l'éducation des jeunes. Dénonçant la collusion entre pouvoir politique et intérêts privés, il déplore les arrangements de la politique de coulisses. Un jour, en séance, à un député qui lui dit : « Monsieur Rivera, le football et la politique, ce n'est pas la même chose », il répond calmement : « C'est vrai. Au football, quand on triche, on finit par prendre un carton. En politique, ce n'est pas toujours le cas ». Gianni Rivera se heurte aussi à des figures de son groupe de la Démocratie Chrétienne. Qu'importe : « J'ai passé ma vie à créer du jeu : pourquoi commencer à en détruire ? ».

À partir de 2001, Rivera devient Président du secteur technique de la Fédération de Football italienne. Dans la formation des futurs footballeurs, il entend redonner la primauté à la technique et à la créativité. Mais las des blocages internes et des magouilles, il quitte la Fédération en 2013.

L'héritage

Gianni Rivera est une légende respectée. Son nom évoque la beauté du jeu, la loyauté. Et la classe, dans un monde brutal. Pour beaucoup, il est le plus fin numéro 10 de l'histoire italienne. Il demeure l'Italien le plus souvent classé dans le top 10 du Ballon d'Or. Platini lui a remis le prix du Président de l'UEFA en hommage à ses réalisations exceptionnelles, son excellence professionnelle et ses qualités personnelles exemplaires. Une tuile est à son nom au Walk of Fame du sport italien. À 76 ans, il passe son brevet d'entraîneur et se tient à disposition du football italien.

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