Don Alfredo

Don Alfredo

Jamais sans doute le ballon rond n'aura connu de joueur plus complet qu'Alfredo Di Stefano, l'un des meilleurs joueurs de tous les temps, le plus grand footballeur du légendaire Real Madrid. Prototype du joueur polyvalent, à la fois relayeur, ailier, avant-centre, « Saeta rubia », la flèche blonde, est le vrai précurseur du football total. Avant Cruyff. Don Alfredo régnait en maître sur toute l'étendue du terrain. Avec élégance il attaquait, défendait, créait et multipliait les buts. Fin technicien, rapide, endurant, tacticien, créatif, ce buteur implacable des deux pieds et de la tête couvrait infatigablement le rectangle vert, sans cesse attiré par le cuir. Toujours prêt à sauver un ballon sur sa ligne de but et à aussitôt relancer l'attaque pour conclure en marquant, il se plaisait à déclarer : « je joue partout où on a besoin de moi ». Ballon d'Or 57 et 59, il est le seul détenteur du Super Ballon d'Or décerné par le Real Madrid en 89 ; et a été nommé Golden Player de l'Espagne en 2003, devançant même Sa Majesté le Roi Pelé et le Prince Johann d'Amsterdam !

Capitaine intransigeant

Prêchant en permanence par l'exemple, Di Stefano animait ses partenaires en les haranguant. Intransigeant, le capitaine se comportait en général irréductible, n'hésitant pas à insulter ses troupes quand il estimait que ses coéquipiers ne fournissaient pas les efforts nécessaires pour assurer le succès. Ses prestigieux partenaires acceptaient sa domination, se pliant à l'autoritarisme de leur Saeta rubia jamais avare de ses efforts, car el jefe vivait pour le triomphe de son équipe… et pour sa gloire personnelle. Lorsque les Merengues étaient en difficulté, à l'appel de son leader chacun retroussait les manches. Comme lors de la première finale de Coupe d'Europe en 56 où le Stade de Reims de Raymond Kopa menait 2 à 0 devant son public du Parc des Princes : le boss sonna la révolte. Et le Real renversa la table. Puis Kopa se mit au service de Don Alfredo en s'engageant dans la Maison Blanche. Pour expliquer son caractère dur, Di Stefano racontait que son père menacé par la mafia argentine de Rosario, dormait avec un revolver sous l'oreiller, afin de protéger le commerce familial en pommes de terre.

L'âme du Real Madrid

Di Stefano a fait du Real une institution européenne. Double champion d'Argentine avec le River Plate de Buenos Aires, à la faveur d'une grève des footballeurs argentins, Alfredo avait émigré au sein des Millonarios de Bogotá. Il y brillait comme triple champion de Colombie, lorsque les Madrilènes vinrent disputer une rencontre amicale au pays des Cafeteros. Santiago Bernabéu le recruta. Le Barça tenta de s'interposer, prétendant l'avoir acquis auprès du River. Mais fort de l'appui de Franco, le Real put valider son transfert réalisé auprès des Millonarios. Les Merengues n'avaient pas remporté la Liga depuis deux décennies. En 11 saisons à Madrid, la Saeta rubia a conduit les Madrilènes à 8 titres de Liga, 1 Copa del Rey ; et 5 Coupes d'Europe consécutives, avec un but d'Alfredo dans chacune des finales, dont un triplé en 60 contre l'Eintracht Francfort, à l'issue d'un mythique 7 à 3 ! Et en remportant 1 Coupe Intercontinentale. Di Stefano a été sacré Pichichi, meilleur buteur de la Liga, en 54, 56, 57, 58, 59, auteur de 308 réalisations en 396 matches officiels. Avec le Real Madrid, la Saeta rubia aura vécu un grand amour : intense, passionné, fidèle. Qui donna naissance à la plus grande équipe de club de tous les temps ; un onze de rêve, grâce en particulier à une attaque de feu réunissant notamment autour de Don Alfredo*, Raymond Kopa le cerveau, Francisco Gento le véloce funambule, l'Argentin Héctor Rial* ; puis Ferenc Puskás* le major galopant, star de la grande école hongroise ; accompagnés de l'arrière central uruguayen José Santamaría.*

Parmi les actions passées dans les annales de l'histoire, est révélatrice celle-ci dont nous n'avons malheureusement pas de témoignage filmé : un boulet de canon de Di Stefano tiré hors de la surface de réparation s'écrasant sur la barre transversale adverse, rebondit vers le centre du terrain ! Prestement, le boss récupère le cuir ; le ramène dans le camp de ses opposants. Et il marque. Qui a dit que le football est compliqué ?

Don Alfredo a été plus tard nommé Président d'Honneur de son club de cœur reconnaissant, à l'instar du Président Florentino Pérez, de tout ce que la Maison Blanche doit à sa flèche blonde.

Entraîneur à succès

Comme coach, Di Stefano a embelli sa carrière riche en triomphes, sur deux continents : à Boca Juniors, Valence, au Real Madrid, à River Plate. En remportant une Coupe des vainqueurs de Coupe, deux Championnats d'Argentine, un Championnat d'Espagne et une Supercoupe d'Espagne.

Un personnage

Le joueur légendaire était un personnage haut en couleur. Natif de Buenos Aires, Alfredo avait un grand-père originaire de Capri. Sa mère avait des origines franco-irlandaises : un mélange de sangs et de cultures qui pourrait expliquer la pluridisciplinarité du footballeur sur le terrain… et en dehors ! Il dévorait la vie comme il multipliait les kilomètres et les buts sur le terrain. Di Stefano aimait l'argent, les femmes, les divertissements. Et ne s'en cachait pas. Il demeurait pourtant un professionnel admirable, à la classe, aux coups de maître et aux innombrables buts. Il a géré sa carrière comme un businessman, même en retraite ! Exigeant et peu discret financièrement. Son ego imposant se nourrissait d'une image publique de joueur intouchable et omniprésent. Aux Millonarios, il percevait en un an ce que certains Argentins mettaient 10 ans à gagner. Pour se transférer au Real Madrid, il aurait négocié un salaire lui garantissant 40 % du budget de la Maison Blanche !

Don Alfredo cultivait son image contradictoire : rejeté et convoité. De relations adultères ou controversées en soirées arrosées, il menait une vie sociale charismatique où avaient leur place le jeu, les paris… Provocateur, il assumait totalement sa participation à de juteuses campagnes publicitaires ; choquantes à l'époque, parfois jugées scandaleuses, en particulier en s'affichant pour des collants féminins, dans l'Espagne de Franco où sur les plages la guardia civil menait sans relâche la chasse aux bikinis. À Santiago Bernabéu lui reprochant de couper une manche de son maillot sacré des Merengues que la star estimait mal taillé, il rétorqua : « qui d'autre que moi va porter le n° 9 du Real Madrid ? »

En 63, à Caracas, le champion fut enlevé pendant 56 heures par des castristes fanatiques dénués, a-t-il toujours précisé, de mauvaises intentions. Il sympathisa avec ses ravisseurs qu'il remercia publiquement de lui avoir permis de partager de bons moments à discuter, regarder la télévision, jouer aux dominos, au backgammon, parier sur des chevaux ! À 86 ans, il décida d'épouser sa secrétaire, plus jeune que lui… de 50 ans. Ses enfants, soucieux de leur patrimoine, se mobilisèrent pour empêcher cette union.

Pour l'histoire

Les plus grands noms du football ont loué Alfredo Di Stefano qui a marqué l'histoire du ballon rond par sa classe, sa maîtrise du jeu collectif et son influence. Cruyff résumait : « Di Stefano, c'était le football total. L'homme qui jouait tout. Et vivait tout. Sans lui, le Real Madrid n'aurait pas été le Real. »

Laissons le dernier mot à celui qui ne l'aurait cédé à personne d'autre : « j'ai joué pour trois équipes nationales : l'Argentine, la Colombie, l'Espagne. Mais je n'ai disputé aucune Coupe du Monde. C'est mon seul regret. »

*naturalisés espagnols

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