Tragédies de l’histoire (l)
Le football brésilien, c'est le foot de la joie, de la rue, de l'art, du sourire. Ce jogo bonito technique et créatif, qui fait la part belle à l'improvisation, l'instinct. Un jeu qui a pourtant connu deux tragédies ancrées dans la conscience collective.
Le Maracanaço
« La peine la plus lourde au Brésil est de 30 années. La mienne dure depuis 50 ans », confiait en 2000 Moacir Barbosa, le gardien malheureux, auteur d'une boulette lourde de conséquences. Le 16 juillet 1950, au Maracana de Rio de Janeiro, devant 200 000 spectateurs venus fêter le premier triomphe de leur Seleção en Coupe du Monde. Sur toute la planète foot, aucun doute : forte d'un soutien populaire sans précédent, l'équipe auriverde allait confirmer ses succès précédents sur la Suède 7 à 1 et l'Espagne 6 à 1, lors de cet ultime match de groupe qui décidait l'attribution du titre de Champions du Monde. Un résultat nul suffisait pour assurer le succès final de la sélection locale. À l'entrée de la seconde mi-temps, les Brésiliens ouvraient le score par Friaça. Poussés par l'ambiance de carnaval qui baignait le stade carioca, euphoriques, ils continuaient à attaquer pour enfoncer le clou. Mais leurs rivaux uruguayens avaient été trop vite désignés comme des victimes. Car cette Celeste emmenée par son capitaine Varela, était une équipe de guerriers, dans la tradition de ce pays débordant de passion pour le ballon rond ; avec quelques artistes, à l'image de Juan Alberto Schiaffino, future recrue du Milan AC, qui égalisa. Leur stupeur passée, les Brésiliens se précipitèrent à l'assaut des Uruguayens pour sceller leur supériorité, semblant oublier que le résultat nul leur convenait. C'est alors qu'une hésitation de leur portier Barbosa facilita le tir de Ghiggia qui les crucifia. La confusion s'empara bientôt d'une foule désemparée et désespérée ; déjà en proie, comme dans la nation entière, à des crises cardiaques et des tentatives de suicide. Les autorités brésiliennes quittèrent ce stade si souvent en fête, soudain devenu maudit. Jules Rimet, Président de la FIFA, demeura seul pour la remise du trophée, amputée de la traditionnelle diffusion de l'hymne de la nation victorieuse. L'ampleur du drame qui frappa tout le Brésil engendra même la compassion des vainqueurs ; Schiaffino confiant plus tard : « j'ai eu de la peine pour nos adversaires pleurant leur défaite tandis qu'en pensant à nos familles, nous versions des larmes de joie ». Trois jours de deuil national furent proclamés au Brésil. Les médias inventèrent le mot de « maracanaço », « la tragédie du Maracana ». Dont l'opinion publique a tenu pour responsable ce pauvre Barbosa. Un court-métrage tourné en 88 tenta de redresser la triste réputation du portier dans le pays, sans effacer sa solitude.
Le Mineiraço
64 ans plus tard, le 8 juillet 2014, le Brésil était frappé d'un autre drame sportif, au stade Mineirão de Belo Horizonte. À l'occasion de la demi-finale, contre l'Allemagne, de la Seleção en route vers un sixième titre mondial. Comme en 1950, les médias attisaient la fièvre nationale et mettaient l'équipe sous pression en exagérant les attentes et en sous-évaluant l'adversaire. Pour tout le peuple, la victoire do Brasil jouant à domicile, même privée de Thiago Silva, patron de la défense, était évidente. Sous le choc de l'ouverture du score de Thomas Müller à la onzième minute de jeu, les coéquipiers de David Luiz cédèrent à la panique en encaissant un second but à la 23ème minute : ils en concédèrent 3 autres en 5 minutes ! Jamais le score final de 7 à 1 n'avait été observé en demi-finale d'un Mondial. En privant la nation de son sixième triomphe en Coupe du Monde, la pire défaite de l'histoire du Brésil a engendré dans l'éternel pays d'avenir des torrents de larmes ; et des drapeaux verts et jaunes brûlés en signe de colère. Aujourd'hui encore, au Brésil, on garde le souvenir douloureux du Maracanaço et du Mineiraço avec le sentiment que ces deux tragédies sportives datent d'hier.