O’Rey

O’Rey

Le 29 juin 1958, à Stockholm, âgé de 17 ans, Edson Arantes do Nascimento, dit Pelé, le plus jeune footballeur ayant marqué un but en Coupe du Monde, vient de mener le Brésil sur le toit de la planète. Grâce à un triplé en demi-finale et un doublé en finale, où il réussit l'un des plus beaux buts de l'histoire du football : en reprenant d'une volée parfaite le lob qu'il vient de réaliser aux dépens d'un défenseur suédois, après un amorti de la poitrine au cœur d'une surface de réparation encombrée. Du grand art ! À l'issue du match, épaulé par ses prestigieux partenaires (Didi, Vava, Nilson Santos, Gilmar…), le prodige triomphant fond en larmes. Admiratif, le monde entier est ému : a star is born.

Un palmarès unique

Pelé est le seul footballeur qui a gagné 3 Coupes du Monde (58, 62, 70). S'il n'a pas remporté la World Cup 66, c'est parce que devenu la cible de tous les défenseurs du monde, il a dû abandonner la compétition, blessé ; victime d'agressions répétées, en particulier de la part d'adversaires directs, l'un bulgare, l'autre portugais ; brutalités tolérées par un arbitrage laxiste encouragé par le pays organisateur, l'inventeur du football. Shame on you, gentlemen.

Pelé a été désigné « athlète du siècle » par le CIO ; « joueur du XXème siècle » par la FIFA ; unique lauréat FIFA du Ballon d'Or d'Honneur ; membre de l'équipe mondiale du XXème siècle. Il a marqué plus de 1000 buts dans sa carrière ! Avec son club de Santos, le « Pelé FC », il a gagné à onze reprises le championnat de São Paulo, dont 2 doublés avec la Coupe Intercontinentale et la Copa Libertadores ; puis, au sortir d'une retraite sportive, le championnat US avec le New York Cosmos. Seul manque à son palmarès unique le Ballon d'Or, à l'époque réservé aux joueurs opérant en Europe. Or, déclaré par le Congrès National du Brésil « Trésor National non exportable », « le Roi Pelé » n'a jamais pu répondre aux sollicitations répétées des plus grands clubs de la planète, pourtant décidés à verser des ponts d'or pour l'engager. Combien de Ballons d'Or aurait-il remporté haut la main s'il avait été éligible au Graal des footballeurs ?

Footballeur complet

Pelé possédait toute la panoplie du joueur de foot moderne, telle qu'on peut la rêver. C'était à la fois la grâce et l'efficacité. Il incarnait le jogo bonito, ce football samba joyeux et spectaculaire. Sa maîtrise technique lui rendait facile tous les gestes composant la gamme idéale du footballeur accompli, qu'il exécutait même dans les espaces les plus réduits et entouré de plusieurs adversaires. Son intimité avec le ballon lui consentait, par la qualité de ses contrôles, spécialement ceux orientés, une aisance permanente avec souvent un temps d'avance sur ses adversaires. Sa couverture de balle s'accompagnait d'une indépendance des pieds et d'une souplesse naturelle des chevilles. Cet ambidextre savait utiliser la semelle, si prisée par l'école sud-américaine. Ses feintes de corps déséquilibrantes déclenchaient des accélérations irrésistibles qu'il pouvait stopper tout à coup pour se retrouver aux trousses de ses poursuivants médusés. Il dribblait comme s'il dansait, semblant défier la gravité tout en cherchant à imprimer au jeu une dimension verticale précieuse pour surprendre les défenseurs les plus vigilants. Ses passes étaient précises et bien dosées. Délivrées à l'aveugle ou dans le dos de l'adversaire, elles étaient décisives. Pelé alternait frappes puissantes, tirs en finesse, enroulés, lobs en pleine course... Car il sentait le jeu. Il avait rarement recours aux figures de style (doubles contacts, roulettes, petits ponts, sombreros, ailes de pigeon...) qui n'étaient pas utiles au déroulement de l'action en cours. Et il marquait, inlassablement : des 2 pieds, des genoux, du torse, de la tête...

Pelé était un véritable athlète. Rapide, musclé, bien positionné au sol par des jambes et des cuisses puissantes, il était doté d'une phénoménale détente horizontale et verticale. Au point que dans les duels aériens, il dominait fréquemment de la tête et des épaules (!) des défenseurs nettement plus grands que lui. Préposé à son marquage lors de la finale du Mondial 70, le rude italien Burgnich est mort en 2021 sans avoir compris comment ce petit diable d'homme avait pu le survoler pour ouvrir le score, en ce jour où sur les téléviseurs la couleur est entrée dans le foot… Les coups de tête de Pelé sont à montrer dans les écoles : ils répondaient à un timing parfait, étaient appuyés et bien cadrés. Le grand Gordon Banks peut en témoigner, auteur de l'arrêt de sa vie en se couchant dans un réflexe d'anthologie pour éviter un but (« marqué », dira Pelé !) sur une tête du Roi magistralement placée au ras de son poteau droit et légèrement élevée par un faux rebond trompeur.

Pelé était un artiste du ballon rond. Un créateur génial, capable en improvisant, d'inventer des figures que nul autre n'aurait songé à tenter. Mazurkiewicz, le gardien de la Céleste, n'a pas oublié la fois où il fut embarqué du côté opposé au ballon par une feinte de corps du Roi… sans toucher le cuir ! Que par miracle les dieux du foot détournèrent du chemin de ses filets. Savez-vous qu'au cours de sa carrière, pour plusieurs de ses exploits, Pelé fut déclaré auteur du « plus beau but de tous les temps » ? Au Maracana, une plaque commémorative entretient le souvenir d'une de ses prouesses réalisée en 61 après avoir dribblé plusieurs opposants. Son plus beau but date d'août 59, contre le Juventus de São Paulo : il dribbla 3 défenseurs et le gardien sans que le ballon ne touche le sol…et conclut de la tête ! Pour cette action, le club brésilien du Juventus a dédié au créatif Roi Pelé une statue et une plaque.

Les immenses talents de Pelé et son instinct étonnant étaient au service d'une exceptionnelle intelligence du football. Une vision qui en faisait un incomparable meneur de jeu : le légendaire numéro 10. Sa perception immédiate et l'acuité de son analyse lui dictaient, avant même de recevoir le ballon, le meilleur geste à effectuer, la meilleure action à entreprendre ; pour se mettre et surtout placer ses coéquipiers dans les conditions idéales afin d'optimiser le jeu de l'équipe. Et ce, régulièrement avec un coup d'avance sur ses rivaux.

Pelé excellait à tous les postes d'une équipe de football. Comme joueur de champ et même comme gardien de but : en un temps où les remplacements n'étaient pas autorisés, à Santos comme dans la Seleção, si le portier était blessé, le Roi changeait de maillot et enfilait les gants. Avec ou sans casquette, il défendait alors sa cage avec brio.

Leader hors norme

Doté d'un charisme impressionnant, Pelé était un leader par l'exemple. À la baguette, le chef d'orchestre menait sa formation du regard et avec le sourire. Sa force tranquille conférait à son équipe une plus-value précieuse : sa seule présence rassurait ses coéquipiers. Et les transcendait en leur insufflant une confiance et une motivation qui bonifiaient les prestations de chacun d'eux et accroissaient la force collective du groupe. Au départ pour la Coupe du Monde 70, la décontraction des Tostão, Rivelino, Jairzinho et autres Gerson reflétait leur certitude : emmenés par leur Roi, ils savaient qu'ils offriraient au pays la Coupe Jules Rimet.

L'aura, l'exemple de Pelé étaient tels que son leadership influençait même le corps arbitral. Il n'était pas rare de surprendre le regard de l'homme en noir à la recherche de l'approbation du Roi suite à une décision réflexe… Puis Pelé tranquillisant l'arbitre d'un discret signe de tête et d'un unique clignement des paupières !

Gentleman footballeur

Sur le terrain comme en dehors, Pelé avait un comportement irréprochable. Face aux paroles et aux actes de violence, d'intimidation, d'anti-jeu, de provocation, de menaces auxquels il était soumis en permanence, il gardait son calme ; respectait l'arbitre et ses adversaires. Au mondial 62 au Chili, blessé au deuxième match, il est resté sur le terrain pour ne pas laisser ses coéquipiers à dix ; et en fin de rencontre, a remercié ses adversaires pour leur attitude compréhensive. Au sortir de duels où il était malmené, ou bien en cas de désaccord sur une décision arbitrale injustifiée, il souriait régulièrement en tendant la main ou en adressant une tape amicale à son opposant. Car Pelé se départait rarement de son sourire : le plaisir de ce gentleman à l'esprit sportif était de jouer au ballon et de transmettre sa joie.

Star universelle

Ambassadeur de l'ONU, de l'UNESCO et pour le développement du soccer aux États-Unis, Pelé était une icône sportive : l'image d'un champion qui demeure près du peuple. Nombre de grands de ce monde ont souhaité rencontrer O Rey. Il a été invité au Vatican et à la Maison Blanche, là où tant de célébrités demandent à être reçues. En avril 2023, est entré le mot « pelé » dans le dictionnaire brésilien Michaelis ; un adjectif signifiant : unique, incomparable, exceptionnel.

L'ami de tous

Jamais un sportif n'a bénéficié d'une aura comparable à celle du Roi Pelé, étoile planétaire du sport le plus populaire au monde. Aujourd'hui encore, il incarne l'universalité du football. Les grands sportifs sont admirés. Pelé a été aimé. L'homme qui a fait rouler le ballon dans le cœur des enfants car il jouait comme un dessin animé, était adoré des gamins de tous horizons : le grand frère rêvé. Sa gentillesse et son sourire légendaires ont séduit hommes et femmes de tous âges, de toutes conditions. Les parents trouvaient en lui un conseiller qui affirmait : « le succès n'est pas un accident, c'est du travail, de la persévérance, de l'apprentissage et surtout de l'amour pour ce que vous faites ». Et au dire de bien des mamans, Pelé aurait été longtemps leur gendre préféré.

Tour à tour chanteur, acteur, scénariste et producteur, Edson Arantes do Nascimento reste un héros national au Brésil, symbole d'unité dans un pays divisé. Il a été un ambassadeur mondial du sport, un ministre des sports et un homme engagé dans des causes humanitaires. Le diplomate sportif a été une figure emblématique de la paix et de la concorde par le sport. Contrairement à certains sportifs moralisateurs, Pelé n'a jamais cédé aux demandes répétées d'engagement politique agressif que d'aucuns réclamaient d'un personnage aussi populaire. Pourtant, un jour de 1969, à Lagos, O Rey a bel et bien arrêté la guerre civile le temps d'un match de Santos !

Il faut regretter que la brillante carrière de Pelé ait été interrompue par les lésions dues à la multiplication des rencontres amicales qui lui furent imposées pour améliorer les finances de Santos comme de la sélection auriverde ; et à la brutalité de certains de ses adversaires peu scrupuleux. On peut imaginer le culte qui serait voué aujourd'hui, dans notre monde hyper médiatisé, à ce Roi qui selon Neymar, « a fait du football un art ». Cet univers où bad boys et arnaqueurs de tout poil font la une des gazettes et envahissent nos écrans. Par son rayonnement, la force de son exemple sur et hors du rectangle vert, l'homme qui a fait sourire le ballon offrait l'image apaisante d'un football rassurant : joyeux, respectueux, inventif, opposé au jeu tactique qui gangrena le foot des années 60. Un antidote précieux contre l'ignorance, la bêtise, la méchanceté. Alors, qui donc, amis de Tiro Libre, oserait dire que O Rey n'est pas le plus grand footballeur de tous les temps ?

Hommages à la légende

Perte d'un morceau de l'histoire vivante du ballon rond, la mort de Pelé en décembre 2022 a été ressentie sur la planète entière comme un séisme émotionnel. Avec trois jours de deuil national au Brésil, drapeaux en berne, programmes médiatiques interrompus. Sur la pelouse du stade de Santos transformée en sanctuaire, a trôné vingt-quatre heures durant son cercueil drapé aux couleurs du pays, visité par plus de 200 000 personnes. Le peuple brésilien reste reconnaissant à son Roi qui a réactivé sa fierté de pouvoir briller sur la scène internationale, malgré des périodes de crise politique et/ou économique. Se sont multipliés les hommages transversaux universels : stades et monuments illuminés de vert et jaune, du Christ Rédempteur de Rio à l'Empire State Building et à la Tour Eiffel ; cérémonies et minutes de silence ; messages d'icônes sportives et de hautes personnalités (Barack Obama, Charles III, Mick Jagger…) ; larges reportages de la BBC au New York Times, d'Al Jazeera à l'Équipe…

Obrigado, Rey.

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