Il divin codino*

De tous les footballeurs qui ont marqué les cœurs en Italie, se détache Roberto Baggio, le divin à la queue de cheval : Ballon d'Or attachant et paradoxal, héros tragique et lumineux. Un homme spirituel dans un monde de business.
Inoubliable 9 1/2
Grâce à une finesse technique et une intelligence exceptionnelles, Roberto Baggio éclairait le jeu dès qu'il touchait le ballon. De contrôles étonnants en dribbles déconcertants et passes millimétrées, tout semblait facile à ce play maker qui avait la capacité d'éliminer ses adversaires ; et qui a marqué 205 buts en 453 matchs de Série A et 27 en 56 sélections dans la Squadra Azzurra. Ce grand spécialiste des coups de pied arrêtés a même marqué un jour sur corner direct ! Il nous a gratifié de la création d'un artiste, dans ce sport qui, ne l'oublions pas, doit rester un jeu. Il codino, surnommé également à Florence Raffaello, peintre des Madones, est (presque) parvenu à nous faire oublier la corporation des gestionnaires qui, au pays du catenaccio, a longtemps posé sa chape de plomb sur le football. Au long de ses 19 années en Série A, Baggio a ensoleillé bien des dimanches après-midis dans la péninsule transalpine. Touché par la grâce, il paraissait le plus humain des dieux du football.
La gloire
Roberto Baggio est couvert de distinctions : outre Ballon d'Or et meilleur footballeur FIFA 93, le divin codino a été nommé meilleur joueur du Calcio en 94/95 et 95/96, Golden Foot 2003 ; sélectionné dans la World Cup Dream Team (les 11 meilleurs joueurs de l'histoire de la Coupe du Monde). Parmi ses trophées figurent le scudetto 95-96, la Coupe UEFA 93, la Coupe d'Italie 95. Il a disputé 3 Coupes du Monde avec 9 buts réalisés et a été meilleur buteur de la Coupe UEFA en 92/93. Le joueur à la queue de cheval a été introduit dans le Hall of Fame du calcio et dans le Wall of Fame du sport italien.
Le tragique résilient
Roberto Baggio est une figure unique du calcio, à la croisée de la tragédie sportive et de la sagesse humaine. Sa carrière est un miracle médical. Titulaire à Vicenza à 17 ans, les médecins l'annoncent l'année suivante perdu pour le foot. La chirurgie d'un genou aux ligaments croisés et aux ménisques pulvérisés lui laisse une jambe plus courte que l'autre. Il affirme alors : « j'ai décidé que je serai joueur de foot, même contre la logique médicale ». Il réapprend à marcher et après une année de dure rééducation, signe à la Fiorentina. Jamais il ne renoncera à sa passion du ballon rond.
Blessé en finale du Mondial 94, Codino n'abandonne pas ses partenaires : il reste sur le terrain avec un bandage à la cuisse... Et sur un score vierge après le temps réglementaire et d'interminables prolongations, le maître artificier soudainement maudit rate l'immanquable : le pénalty qui, pour la quatrième fois, sacre le Brésil sur le toit du monde ! Un douloureux échec qu'il a longtemps porté.
Devenu fabricant de jantes en alliage, alors qu'il regarde à la télévision l'Espagne-Italie de l'Euro 2024, Roberto Baggio est victime d'un cambriolage armé et séquestré pendant 3/4 d'heure.
Le sage
Ce catholique a trouvé la force de revenir au football après sa grave lésion, grâce à sa conversion au bouddhisme. Il en deviendra une figure spirituelle respectée dans son pays. Homme de cœur, sixième de huit fils, il est resté simple et vit désormais dans sa ferme près de Vicenza, à l'écart des projecteurs. Passionné de chasse et généreux, Baggio se consacre à la protection de la nature et à l'aide humanitaire, pour lesquels il finance des projets en Afrique et en Asie ; en première ligne, il vient en soutien des victimes du Tsunami de 2004 en Thaïlande. S'il se brouille parfois avec ses entraîneurs (Sacchi, Capello, Lippi), c'est parce qu'il tient à être libre pour créer, confiant en son instinct.
Fidèle à ses valeurs
Au terme de cinq saisons à la Fiorentina, son transfert à la Juventus provoque dans la cité éternelle une véritable émeute des tifosi de la Viola, avec des blessés et des vitrines brisées. Peu après, sous le maillot bianconero, il refuse de tirer un pénalty contre son ancien club. Il passe cinq années à la cour des Agnelli. Puis l'avènement de Del Piero le contraint à quitter la Vecchia Signora. Le voilà deux ans au Milan de Berlusconi, deux à Bologne et deux autres à l'Inter. Il met fin à sa carrière à Brescia, un club modeste qu'il sauve durant quatre années. Contre la Juventus, on le voit passer en revue les défenseurs piémontais et marquer : les supporters turinois lui font une standing ovation !
Nommé à la tête de la Direction Technique de la Fédération Italienne, il démissionne, estimant ne pas être mis dans les conditions de pouvoir exercer son mandat comme il l'entend.
Incompris mais adoré, battu mais jamais vaincu, Roberto Baggio est une légende tragique sur le terrain et un homme accompli dans la vie. Dans un univers d'affairistes, où la finance prend le pas sur la performance, son admirable parcours évoque un roman de chevalerie : c'est rassurant !