Hubris
A 19 ans, Kylian Mbappé avait déjà la planète foot à ses pieds : ses talents exceptionnels en faisaient un attaquant irrésistible. Buteur décisif grâce à sa maîtrise technique au service d'une vitesse de course et d'exécution hors normes. Ses accélérations foudroyantes ont souvent fait de Kylian le matador du PSG et le sauveur de la patrie bleue. Qui séduisait par son intelligence sur le terrain et en dehors. Homme de communication, il était le chouchou des médias et des décideurs de tout poil, politiques en tête. Pour ce surdoué devenu l'un des sportifs les plus convoités et les mieux rémunérés au monde, tout était facile et normal. Jusqu'en décembre 2023.
Réussite programmée
L'éclosion du prodige de Bondy a été soigneusement programmée dès son enfance par un père éducateur sportif et une mère opérant dans le secteur social. Tous deux d'anciens professionnels : lui de foot, elle de handball. Outre ses dons pour le football, l'enfant est pourvu de raison, d'une excellente mémoire et d'aptitudes en milieu scolaire. Pour ses parents, pas question de gâcher tant de talents chez ce fils qui semble béni des dieux de l'Olympe !
Baigné dans la culture des valeurs familiales, il est accompagné et conseillé en permanence par des parents omniprésents qui l'entourent d'une bulle protectrice, avec un véritable périmètre de sécurité. L'enfant et l'ado sont ainsi préservés des influences néfastes et des prédateurs attirés par ce millionnaire dès l'âge de seize ans. Kylian reçoit une bonne formation générale, sur mesure. Tout en fructifiant ses dons pour le ballon rond, des bancs de l'école aux pelouses des centres de formation de Clairefontaine et de Monaco, il apprend l'anglais, l'espagnol et réussit son bac. Il acquiert l'aisance dans l'expression orale qui le dote d'une prise de parole en public sereine et convaincante. Le reflet d'une extraordinaire confiance en soi. Son père pilote la gestion avisée de sa carrière de footballeur, n'hésitant pas à prendre une année sabbatique pour escorter le fiston à Monaco.
On ne sait rien de la vie privée du clan des Mbappé : "pour vivre heureux, vivons cachés". Sa mère, avec l'aide de son avocate, veille à la justesse de la communication de son fils pour transmettre une image consensuelle premium de la marque Kylian Mbappé ; la promesse d'une valeur ajoutée aux produits haut de gamme des industriels du luxe (Hublot, Dior...) pourvoyeurs de juteuses campagnes publicitaires. La maman de la nouvelle icône du football français prend également en charge leurs projets sociaux communs. L'attachement de Kylian au clan familial, son amour des enfants, sa générosité y sont avantageusement mis en évidence. Tout cela fait du champion un témoin de choix pour les publicitaires du comité Colbert. Et pour le public de consommateurs, un gendre idéal. Il est adoubé par ses illustres pairs, Pelé, Michael Jordan... Affiché en compagnie de grands de la terre. Il est invité à la table du Président de la République et rencontre des chefs d'état. On lui prête de rares et brèves romances avec des jeunes filles du monde des people. Son père est reçu par le pape. Quelle fée s'est donc penchée sur le berceau de l'enfant du 93 ?
Sur le toit du monde
Tout réussit au plus jeune champion du monde après le roi Pelé ; vainqueur de la ligue des nations ; vice-champion du monde et meilleur buteur en 2022 ; soulier d'or de Ligue 1 durant 6 années consécutives. Kylian veut marquer l'histoire du football. La réussite sportive de la nouvelle star éclabousse la planète foot. Et il ambitionne tout particulièrement la victoire en Champions League et le Graal, le prestigieux Ballon d'Or. Les triomphes grisants paraissent évidents au gagneur qui relève les challenges de la vie : il rayonne en affaires comme en sport, à l'exemple d'un LeBron James ou d'un David Beckham. S'appuyant sur la SCI familiale dirigée par sa mère, il multiplie succès financiers, commerciaux et titres sportifs. Tout ce qu'il gagne, en dehors d'un soutien toujours discret à des associations, il l'investit. Dans la high-tech, dans une société de production de contenus vidéo et de divertissement dans le sport, la musique, l'art, l'horlogerie, le gaming...
Comme actionnaire majoritaire du club de foot de Caen. Il décline sa marque KM dans l'édition, avec la BD "je m'appelle Kylian" ; dans la mode, avec son logo sur des vêtements, des lunettes de soleil... A travers la Fondation Kylian Mbappé, le petit Prince de Bondy montre que célébrité et réussite peuvent être utilisées à des fins nobles : son action communautaire et humanitaire offre de nouvelles opportunités aux jeunes défavorisés et/ou handicapés, par un accès aux sports et à des activités éducatives. Sa popularité et son engagement associatif, citoyen, politique lui dictent de revendiquer dans la société un statut de porte-parole. Cette abondance de réalisations et projets met en lumière l'étoile Kylian Mbappé scintillant au firmament du ballon rond et de sa sphère d'influence économique, financière, commerciale, culturelle... Kylian symbolise dans l'hexagone la force tranquille d'une jeunesse triomphante issue du 93 ; en Amérique on apprécie le "winner" en sport comme dans la vie ; et dans le monde entier, il est le gendre idéal qui transmet une confiance à toute épreuve. C'est le Français le plus suivi sur les réseaux sociaux, en particulier en Amérique, en Asie et en Europe. Le premier sportif frenchie après Tony Parker ayant gagné le cœur des Américains. Celui qui, aux yeux des publicitaires, est susceptible de générer le plus de valeur à une marque. Auquel on déroule volontiers le tapis rouge.
Le revers des médailles
L'existence de Kylian Mbappé est parfaitement rythmée par ce football qu'il adore. Entre deux matchs, il prend un plaisir ludique dans ses séances d'entraînement. Et il entasse les trophées. Mais les médailles gagnées sur les stades ont leurs revers. Surtout quand on cumule les statuts de top player, star du showbiz, homme d'affaires et de communication aux lucratives collaborations commerciales, citoyen engagé dans l'humanitaire et le politique. Il apprend que les chemins de la gloire sont pavés de rançon et laissent peu de place à sa vie personnelle. Car Kylian Mbappé est soumis quotidiennement à une avalanche de sollicitations. Vigilante, sa mère lui édifie un rempart pour faire barrage à la traque des paparazzi, à la curiosité des médias et divers quémandeurs qui se proposent d'accompagner l'astre de la banlieue Nord dans son trajet tous azimuts. Mais le footballeur ne connaît rien de l'expérience de la plupart des autres ados. Il n'a jamais fait la fête avec des jeunes de son âge. Partout où il se rend, il est scruté. Des gardes du corps et/ou une assistante encadrent ses moindres déplacements pour lesquels, faute du permis de conduire, il dépend d'un chauffeur. Et ce, bien que dans son garage soient en attente plusieurs de ses voitures de prestige ! Kylian Mbappé est une multinationale suscitant des jalousies dans un pays qui a un rapport particulier à l'argent et d'avantage de sympathie pour les perdants que les gagnants. Lui qui n'a pas connu de jeunesse en liberté s'efforce de cacher une sensation de vide, gage d'une renommée difficile à assumer ; dont les trompettes, nous rappelle Brassens, sont souvent "bien mal embouchées". Derrière l'insolente réussite, le Prince de Bondy se sent seul face à sa solitude masquée par un trop-plein d'activités. Et surtout, il comprend qu'au PSG il ne gagnera jamais la coupe d'Europe et n'aura donc jamais le Ballon d'Or. Ce rêve qu'il aurait déjà réalisé s'il avait répondu aux offres du Real Madrid qui le courtise depuis 7 ans !
De break en rupture
Arrive ce fameux jour de décembre 2023 où il annonce qu'il ne renouvellera pas son contrat le liant au PSG jusqu'à fin juin 2024. Dès lors, la roue de la chance tourne. Car Nasser el Khelaïfi est blessé dans son orgueil par cet échec retentissant : il perd le joueur autour duquel il a bâti son nouveau projet ; censé faire oublier le fiasco d'une onéreuse stratégie de superstars (Neymar, Messi...). Le président n'est pas bon perdant. Il n'accepte pas l'affront de son poulain qui, aux montagnes de dollars qataris, privilégie la concrétisation de ses rêves de gosse. Ses fantasmes en blanc, de coupes aux grandes oreilles et de ballons d'or. Lorsque le proche de l'émir du Qatar réalise que tout l'or du monde ne fera pas revenir sur sa décision son joueur fétiche, il voit rouge et veut vengeance. En salissant la belle image de ce fils indigne. Fort de la puissance de l'empire médiatique de beIN Sports (Al-Jazeera) qu'il dirige et de l'intarissable pouvoir financier du Qatar, il brandit tour à tour le chantage et la menace : à moins de prolonger son contrat avec le PSG, pas question pour Kylian de revêtir le maillot parisien ! Nasser el Khelaïfi refuse de verser à Kylian Mbappé les 55 millions d'euros que, contractuellement, le PSG doit lui acquitter. Le joueur est contraint d'entamer un recours en justice pour faire valoir ses droits, niés par le président réputé depuis sa prise de fonctions dans le club parisien, pour ses acquisitions au prix fort et ses cessions au plus bas ; un président qui fera tout pour retarder l'échéance. Et voilà que certains médias habitués à faire l'éloge de Kylian jeune homme modèle, soudain relatent ses sorties nocturnes, soulignent ses exigences, s'étonnent de son comportement d'enfant gâté ; sont préoccupés par son manque d'esprit d'équipe ; déplorent sa présomptueuse nonchalance à l'entraînement, sa contagieuse réticence à l'effort, indigne d'un leader d'équipe... Kylian est ébranlé par ces critiques volontiers excessives, voire calomnieuses et non sans insinuations malveillantes ; par les sifflets et les huées d'une partie de ce public qui l'a toujours acclamé. Et plus encore par les attaques qui lui sont infligées ainsi qu'à son entourage, sur les réseaux sociaux. La conséquence de l'opération de sape déclenchée par la machine médiatique internationale des Qataris décidée à broyer la belle image du Kylian qu'elle encensait. Lui supporte de plus en plus mal son éloignement forcé des terrains d'un jeu qui reste sa passion et sa principale raison de vivre. Finalement, il est soumis au régime de la douche écossaise, alternant titularisations et attentes sur le banc des remplaçants. Quid de l'attaquant explosif ? La flamme qui l'anime depuis tout petit vacille et puis s'éteint. Motivation perdue, désorienté, il se traîne parfois sur le rectangle vert. Le Réal n'autorise pas sa future recrue à participer à la fête des Jeux Olympiques disputés dans son 93, lui qui à l'instar d'Antoine Dupont en rugby à 7, rêvait de conduire la sélection française de foot à la médaille d'or. Un break lui serait salutaire. Mais déjà débute l'Euro 2024. Il lui faut à nouveau enfiler un costume de sauveur qui ne lui sied plus. L'attaquant déterminant attendu par la France entière offre des prestations désastreuses, où on le surprend parfois comme absent sur le terrain. Une attitude et un comportement inacceptable pour un capitaine tenu de montrer l'exemple à ses partenaires. Dans la foulée, il est ovationné lors de sa spectaculaire présentation comme la prochaine grande étoile de la Maison Blanche, par près de 80000 Madrilènes. Une pression énorme l'envahit. Il est en souffrance. Habitué à vaincre les autres, il lui faut lutter contre lui-même. Il n'y arrive pas. Le ressort est cassé. Tout ce qui était aisé au petit Prince de Bondy devient difficile, voire impossible. Où est passée "l'envie d'avoir envie" chère à Johnny Hallyday ?
Le piège
Le célibataire de 25 ans paierait cher pour un peu d'anonymat dans sa vie. Début octobre, pour il s'échappe de sa prison dorée pour s'offrir à Stockholm un de ces brefs séjours recherchés par des stars en goguette, en quête de totale discrétion. Voilà qu'une jeune femme l'accuse de viol et harcèlement sexuel. Qu'il nie en affirmant avoir eu une relation sexuelle consentie. Le fait divers représente une aubaine pour la presse suédoise, puis mondiale, friande de scandales, qui tient là une affaire concernant une star planétaire. Et l'opportunité de négocier une robuste somme d'argent pour la plaignante et ses "conseilleurs" : c'est pain bénit. La bonne foi de l'accusé contre celle de la plaignante. Que faisait-elle cette nuit-là dans une chambre d'hôtel avec son "violeur" ? Une certitude : cet épisode met une pression supplémentaire à Kylian à un moment où il s'en serait bien passé ; et ternit son image de gendre idéal. L'icône au cœur du scandale est dans la tourmente.
Le bon choix
Réservons la prise en charge de l'état de santé de Kylian Mbappé à l'homme, à ses proches et ses médecins. Intéressons-nous aux autres facteurs susceptibles de remettre Kylian au niveau des meilleurs footballeurs de la planète foot. Sa dispersion dans trop d'activités nuit grandement à son rendement de footballeur. Son objectif de devenir le joueur numéro 1 au monde implique des sacrifices afin d'être plus performant que des concurrents talentueux et ambitieux ; se dédiant uniquement au football, prêts à disputer un match tous les trois jours. Grâce à une parfaite condition physique ; et la disponibilité mentale pour se concentrer à la demande. La multiplication des obligations que Kylian s'impose ou que son entourage lui suggère ne permet pas au prodige de rester "focus sur le foot" : "el que mucho abarca poco aprieta". Vouloir être top footballeur, hommes d'affaires hors-pair, conscience humanitaire et influenceur politique, c'est trop pour Kylian Mbappé. Un excès par péché d'orgueil a poussé l'enfant du 93 à vouloir être le premier de la classe dans toutes les matières au programme et toutes les disciplines de l'éducation. Quelle part de responsabilité lui revient et quelle part est engendrée par ses proches, Kylian est suffisamment intelligent pour en faire l'analyse. Il devra se consacrer au football en mettant la pédale douce sur ses autres activités. A défaut, il pourrait certes poursuivre une belle carrière de footballeur. Mais en regrettant toujours d'avoir laissé passer le train de l'histoire : son rêve de gosse de devenir une légende du football mondial.
L'ire des dieux
La souffrance actuelle de Kylian, longtemps sous la protection de son entourage et avec la bienveillance des dieux de l'Olympe, évoque l'hubris de la Grèce antique : la démesure des humains liée à l'orgueil, que les divinités doivent venger. Cet orgueil moteur de dépassement de soi qui, poussé à l'exagération, fait rêver trop et trop haut. L'intelligence et l'amour du ballon rond de Kylian Mbappé devraient le guider au bon choix. Avant que le Real Madrid ne se lasse de tabler sur la résurrection du grand footballeur. Sans attendre que ne soit ternie son image précieuse pour la notoriété de la Maison Blanche et ses énormes incidences commerciales. Gageons qu'en 2025 le petit Prince de Bondy aura récupéré son singulier talent égaré.
"Qui trop embrasse mal étreint"