De Rowe vs Rabiot a OM vs Rabiot

De Rowe vs Rabiot a OM vs Rabiot

Sport collectif le plus populaire au monde, le football est soumis à une pression médiatique et financière croissante. On y voit s'affronter des sportifs aux personnalités très marquées. Avec des tensions liées au stress engendré par des compétitions toujours plus rapprochées et exigeantes, exacerbées par les égos et les désirs de leadership chez certains joueurs d'une même équipe. Au point de faire parfois du vestiaire une poudrière. Heureusement, dans l'espace clos des coulisses réservées aux acteurs du foot spectacle, les regrettables incidents observés dans l'univers du ballon rond finissent le plus souvent par se régler sereinement. Ne dit-on pas que le linge sale se lave en famille ?

La résonance excessive donnée par l'Olympique de Marseille au récent affrontement entre Jonathan Rowe et Adrien Rabiot et la version officielle que l'état-major olympien en a communiqué nous invitent à rester distanciés. L'histoire du football abonde en agressions entre coéquipiers ; qui, à l'instar des secrets d'alcôve, ne franchissent pas la porte des vestiaires : hors des terrains de jeu et des enceintes des stades, les voilà livrées en pâture à une certaine presse friande de querelles, à défaut de scandales.

Des précédents

Parmi les mauvais comportements célèbres, figure le match de 2005 sur la pelouse de l'Arms Park face à Aston Villa, qui dégénère en pugilat entre Lee Bowyer et Kieron Dyer, les deux milieux de terrain de Newcastle : poings échangés, maillots arrachés ! Chacun écope d'un carton rouge, d'une suspension et d'une amende ; plus salée pour le provocateur, Bowyer. Au cours d'une réconciliation forcée organisée autour de l'entraîneur Souness, les deux joueurs présentent des excuses publiques. Puis ils rejouent ensemble.

En 2012, à la mi-temps d'une demi-finale de Champions League opposant le Bayern München et le Real Madrid, Robben et Ribéry se disputent le droit de tirer le prochain coup franc. Aussi imprévisible bagarreur que dribbleur, Ribéry frappe soudain Robben au visage ! Le voilà quitte avec une amende et des excuses officialisées. Peu après, on retrouve nos protagonistes dans leur antre de l'Allianz Arena, en finale de C1 contre Chelsea. Ailiers phares d'un grand Bayern, le Hollandais et le Français deviennent bientôt inséparables et constituent le légendaire « Robbéry », duo très apprécié du public bavarois.

Dans les années 90, à l'entraînement, Romário et Edmundo, les stars du Flamengo qui se détestent, en viennent aux mains fréquemment. Ils sont pourtant partenaires pendant plusieurs saisons.

Hormis la honteuse grève des Bleus en pleine Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud (consécutive à l'exclusion d'Anelka ayant insulté le sélectionneur national), la plupart des incidents ayant opposé des footballeurs sont restés des anecdotes sans suite. À l'image de Zidane et Lizarazu, toujours demeurés les amis des Girondins de Bordeaux ; malgré la claque balancée un jour à Liza par Zizou dans le vestiaire, suite à une empoignade où le meneur de jeu reprochait à son arrière gauche son manque d'implication.

Comment s'étonner que dans l'atmosphère volcanique qui entoure l'OM, les clashs entre équipiers puissent dégénérer ? En 2017, l'opposition entre Payet et Thauvin fait l'actualité sur la Canebière. Auparavant, Éric Cantona, attaquant génial incarnant la créativité, le panache et la rébellion, rejette l'autorité et les règles. Il humilie Didier Deschamps, ce capitaine modèle, discipliné et besogneux qu'il méprise. « Ce n'est qu'un porteur d'eau », répète le Picasso des guignols de l'Info, réduisant Deschamps au rôle de domestique qui apporte le ballon aux vrais artistes. Encore heureux que le fantasque Canto n'ait jamais exercé ses talents d'acrobate du kung fu sur les cervicales de DD !

Tout ça… pour ça ?

Les dirigeants olympiens, Longoria en tête, se sont empressés de déclarer avoir été « choqués » par « la violente bagarre » survenue lors de l'altercation entre Rabiot et Rowe, jugée inacceptable. Du jamais vu, à en croire les patrons de l'entité phocéenne ! Pourtant pas de quoi effrayer De Zerbi, ex entraîneur du Shakhtar Donetsk, confronté aux affres de l'odieuse guerre en Ukraine. En l'absence de témoignage précis, audiovisuel en particulier, ce genre d'affrontement semble évoquer ce que les joueurs ont coutume d'appeler simplement « une baston de vestiaire ». Une parmi tant d'autres. Ni plus ni moins malséante que les précédentes… et les prochaines. Au rugby, quelques coups de poing échangés suscitent régulièrement des spectateurs quelque commentaire apaisant : « ça se chamaille… C'est la rentrée des classes... ». Qui a joué au football a été témoin de telles « embrouilles ». Lorsque ces incidents filtrent dans la presse, ils sont immédiatement dédramatisés par les cadres du club. Or, les dirigeants marseillais ont choisi de médiatiser la dispute en exagérant sa gravité. Et d'emblée, ils ont fait savoir qu'elle impliquait une sanction exemplaire. Nous faut-il gober que Longoria et Benatia, fréquentant les vestiaires depuis environ deux décennies, aient pu être aussi « choqués » qu'ils l'ont clamé ? Et qu'avec la mise à l'écart des deux protagonistes de la bagarre, les dirigeants de l'Olympique de Marseille encaissent le montant de la cession de Rowe et renoncent à conserver Rabiot, leur meilleur joueur de la saison écoulée ? Ce taulier qui a toutes les chances d'être retenu en équipe de France pour le Mondial 2026. Certes, De Zerbi ne pouvait pas se désolidariser de la décision de ses employeurs. Tous trois savaient que la substitution d'Adrien impliquerait pour l'OM une dépense importante ; car les milieux de terrain de son niveau aujourd'hui disponibles ne sont pas légion et sont valorisés dans leurs clubs. S'empresser, à proximité de la clôture du mercato, de mettre Rabiot sur la liste des footballeurs marseillais transférables, se présentait donc comme une faute de management sportif, de celles que tout président se doit d'éviter.

« A pensar male… »*

Une faute, sauf que les belles paroles du trio de managers phocéens, prononcées au nom de l'intérêt supérieur de l'Institution qui commande à ses membres le respect de ses règles, visaient à travestir une décision motivée par un froid calcul financier. Longoria savait trop bien qu'il lui serait très difficile de conserver Adrien autorisé à se libérer de son contrat fin juin 2026 sans compensation financière. Tandis que le vendre aujourd'hui assurait à l'OM un apport immédiat de 10 millions d'euros, utile pour un club à la recherche de renforts afin d'être compétitif en Champions League. Sa décision prise, Longoria a tenu à l'accompagner d'un message susceptible de tempérer la grogne prévisible des bouillants supporteurs marseillais qui rêvaient d'un OM avec Rabiot (et dont le pouvoir de nuisance peut égaler la passion qu'ils nourrissent pour leur club de cœur…). En somme, d'une belle histoire à raconter aux suiveurs de l'Olympique de Marseille : tout a été fait pour conserver le milieu de terrain des Bleus. Confronté à la « grave situation » provoquée par deux de ses joueurs (et envenimée par les critiques sévères adressées à sa direction générale par la maman et agent de Rabiot !), le club a été contraint de sanctionner les fautifs pour préserver l'Institution. En prenant soin de bien inviter Rabiot à dialoguer, la porte de la Direction lui ayant été maintenue ouverte en permanence. Les dernières déclarations conciliantes de Longoria, Benatia et du coach De Zerbi, en attestent. Cette dialectique de l'Olympique de Marseille laissait à n'importe quel moment à ses dirigeants l'opportunité d'adapter leur stratégie : avec en mains des propositions de recrutement provenant de clubs étrangers solvables, conscients que la bagarre était née d'une intervention de Rabiot pour calmer un clash entre Rowe et le gardien Rulli, le Président et ses proches collaborateurs, unis dans un élan de magnanimité, auraient pu passer l'éponge en réintégrant l'international français dans l'effectif olympien, à la satisfaction de tous… Si toutefois Rabiot avait fait amende honorable, se privant d'un transfert lui rapportant 5 millions d'euros !

Il est clair que la mise à l'écart d'Adrien Rabiot n'a pas été provoquée par une incompétence ou une précipitation, un emballement émotionnel de la direction du club. D'autant que cette décision a été annoncée après une mûre réflexion et un dialogue menés conjointement par les deux principaux responsables de l'Olympique de Marseille tout au long d'un week-end. La bagarre entre les deux footballeurs olympiens aura fourni un alibi aux dirigeants pour justifier deux transferts dictés par des motifs économiques.

Financièrement, pour le joueur comme pour le club, le transfert de Rabiot est un good deal, légitime. L'état-major de la cité méditerranéenne a estimé qu'il fallait le rendre acceptable auprès de ses fidèles supporteurs. Sur le plan sportif, Milan réalise une bonne opération. Quant à l'OM, qui affiche un recrutement XXL, mais a perdu deux de ses trois premiers matchs de championnat, wait and see

Décidément, amis de Tiro Libre, à Marseille semble de règle le « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » ?

*a pensar male si fa peccato ; però spesso s'indovina : à penser au mal, on commet un péché ; mais souvent, on devine…

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