Csaszar, ultime joyau magyar

Csaszar, ultime joyau magyar

En novembre 56, les chars soviétiques envahissent Budapest : la révolte populaire de la Hongrie en quête d'indépendance est écrasée dans le sang. Le fameux onze d'or hongrois est décimé par l'exode de ses stars, principalement en Espagne et en Italie. C'est alors que de l'école magyare de football qui a formé une magnifique génération d'artistes, émerge un dernier diamant : Florian Albert.

L'élégance

À 17 ans, cet avant-centre naturellement doté d'une harmonieuse distinction débute à Ferencváros, club le plus titré de Hongrie, en marquant deux buts. On lui en attribuera 595 sous le maillot du Ferencváros. En 59, à 18 ans, après avoir disputé seulement 2 rencontres avec son club de cœur, le voilà sélectionné en équipe de Hongrie ! Redoutable buteur, Albert attire l'attention car il est en mouvement permanent sur le rectangle vert. Il n'hésite pas à venir en appui de ses partenaires de l'attaque et excelle déjà dans sa capacité à leur offrir des passes décisives. Grand et puissant, il n'est pas facile à stopper quand il part balle au pied depuis le milieu de terrain. Et il a l'art de se démarquer à l'intérieur de la surface de réparation : il flaire le but. Au cours des trois matchs éliminatoires des Jeux Olympiques de Rome, il marque 6 buts et conduit la Hongrie à la médaille de bronze. En 62, lors de la Coupe du Monde du Chili, où la Hongrie est éliminée en quart de finale, auteur de 4 réalisations, il partage avec cinq autres joueurs la couronne de meilleur buteur du tournoi.

De surcroît, les principales qualités de ce footballeur d'un exceptionnel talent et beau à voir, s'avèrent l'humilité, l'intelligence et un sens aigu du jeu collectif. Le tout, avec cette élégance qui force l'admiration générale. Albert aurait mérité de jouer dans le grand Ajax de Johan Cruyff dans les années 70. Son entraîneur, Lajos Baróti, résume : « il était aussi bon en 10 qu'en 9. Il savait tout faire et avec une classe immense ».

Une mission officielle

En 65, lorsque Florian Albert porte Ferencváros à la victoire en Coupe des Coupes, il est aussitôt courtisé par les principales équipes du continent. Ballon d'Or 67 devant Sir Bobby Charlton himself, Florian a toute l'Europe à ses pieds. Il est même sollicité par le Brésil, à l'époque terre bénie du ballon rond ! Pourtant, lui ne cède jamais au chant des sirènes. Si l'on en croit la propagande officielle, Albert se sentirait investi d'une mission : demeurer fidèle à son club avec lequel il aurait disputé 643 rencontres ; et à sa patrie qui a besoin de héros. Il honorera toutes les sélections de son équipe nationale jusqu'au jour où il raccroche les crampons, en 74 ; laissant l'exemple d'une fidélité absolue. En fait, Albert n'avait pas vraiment le choix, car un transfert à l'étranger n'était pas compatible avec la « morale socialiste », dans un régime déjà bafoué par la fuite à l'Ouest des Puskás, Kocsis, Czibor, Hidegkúti, Kubala, Újlaki…

Impérial

Au mondial 66, à Liverpool, la Hongrie élimine l'immense Brésil dont la dernière défaite en Coupe du Monde remonte à 54 face… aux Hongrois. Ce jour-là, Albert signe un masterpiece. Implacable, il promène son élégance avec lucidité sur toute l'étendue de la belle pelouse anglaise, au long d'un match parfait qu'il survole devant un public enchanté ; distribuant le jeu et distillant à ses coéquipiers les passes décisives des 3 buts de son équipe. Les Garrincha, Tostão et autres Gerson sont accablés par ce joueur européen virevoltant, qui fait tourner la tête des défenseurs sud-américains. Même le roi Pelé est sous le charme de ce « génie », bientôt surnommé en Hongrie « császár », l'empereur.

L'exemple

Florian Albert est le seul Hongrois honoré du Ballon d'Or, une distinction qui ne fut jamais attribuée au grand Ferenc Puskás, le major galopant. Mort en 2011, Albert laisse le souvenir d'un magnifique footballeur, admirable pour son élégance : celle d'un joueur pourvu d'une vraie maîtrise technique et d'un homme providentiel pour la Hongrie socialiste ; dont la propagande aura fait de ce symbole sportif vers lequel se tournent tous les regards, un modèle de fidélité dans l'univers d'un football du court terme, déjà en proie à la vénalité : un exemple à méditer.