Avis de tempête sur Madrid

Avis de tempête sur Madrid

Le Real Madrid a perdu la tête de la Liga suite à plusieurs matchs décevants. Il a en particulier été baladé par un Elche programmé pour la lutte au maintien en première division espagnole. Un nul heureux pour les Merengue qui n'ont pas semblé concernés par la préservation de leur leadership sous la menace d'un Barça enthousiaste, à défaut d'être convaincant. Capitaine du Real, le trottinant Valverde semblait indifférent aux lents déplacements de ses coéquipiers. Ces comportements inacceptables ont engendré dans la péninsule ibérique une bourrasque médiatique répandue en menace de tempête.

Brouillard euphorisant

Le quadruplé de Kylian Mbappé face à l'Olympiacos a suscité une nuée d'hommages internationaux qui, dans l'euphorie de l'étroit succès obtenu aux dépens de la modeste formation grecque, ont masqué d'un nuage faussement rassurant les insuffisances du onze madrilène ; au point de (presque) faire oublier ses récentes prestations décevantes : des défenseurs apathiques, faibles sur l'homme, passifs et absents dans le jeu aérien ; un milieu de terrain renonciateur, en déficit d'énergie et en panne d'idées ; une attaque où l'apport de Vinícius Júnior reste insuffisant pour un joueur aussi talentueux. Bref, le comportement affligeant d'une équipe peu combattive, fâchée avec la course sans ballon. Courtois et Mbappé ne sont pas au bout de leurs peines pour sauver du marasme cette équipe si elle ne change pas radicalement de mentalité.

Haro sur l'entraîneur !

Fidèle à une tradition du Real Madrid qui accorde à ses entraîneurs une durée moyenne de vie de deux années, le coupable a vite été désigné : la qualité de l'effectif ne pouvant être mise en cause pour expliquer les mauvais résultats et la pauvreté du jeu collectif produit, c'est le coach qui a été tenu responsable de ce gâchis. Des travées du Bernabéu aux salles de rédaction de la presse sportive puis générale, des autres médias aux réseaux sociaux, a été répandu le verdict : « le vestiaire rejette l'entraîneur » ; « Xabi Alonso est mort ». Et voilà les madridistas prêts à sortir les mouchoirs blancs, à l'image des aficionados du tendido 7 de Las Ventas. Faut-il rappeler que « Don » Leo Beenhakker avait été viré alors que le Real occupait la tête d'un championnat qui fut perdu en changeant de coach ?

Le challenge de Xabi

Xabi Alonso n'est pas homme à cajoler ses joueurs ou à flatter les médias. Ses silences compensent la logorrhée ambiante. Mais de là à questionner sa compétence… Devenu entraîneur, l'ancien milieu apprécié pour son intelligence de jeu, n'a-t-il pas interrompu le règne du grand Bayern München en menant son Bayer Leverkusen sur le toit de la Bundesliga, au terme d'une magnifique saison sans la moindre défaite avant la finale de Ligue Europa perdue contre l'ébouriffante Atalanta de Bergame ? Dont acte.

Florentino Pérez a recruté Xabi Alonso pour faire oublier une saison blanche (!) et appliquer à un Real malade sa séduisante et victorieuse philosophie du jeu : transformer un groupe mesquin privilégiant les fulgurances individuelles de superstars aux actions collectives, en une équipe combattive, généreuse, hardie, où sont de règle le partage des efforts et la solidarité. Vaste programme ! La recette simplifiée du Dr Alonso pourrait se résumer en une défense haute, des pistons entreprenants, un pressing agressif systématique. La même prescrite au Paris Saint-Germain par Luis Enrique et dont l'assimilation, l'adhésion puis la mise en pratique par ses joueurs a pris un an et demi. Autant d'étapes franchies avec succès par une sélection de jeunes footballeurs de talent, ambitieux et malléables, mais pas par des superstars entourées de jeunes loups à l'ego parfois surdimensionné. Le groupe encadré par le tandem Luis Enrique-Luis Campos a bénéficié du soutien de la Direction Générale du PSG et de la patience de l'émir de Doha qui n'avaient pas été accordés à leurs prédécesseurs. Vrai, le challenge de Xabi Alonso est de taille. La réussite de son traitement requiert la pleine collaboration de tout son effectif, avec un partage des efforts de l'équipe. Malheureusement, certains joueurs du Real sont habitués à la recherche de la lumière à travers l'exploit individuel gratifiant, au détriment de l'obscur travail collectif. Le coach basque doit en particulier composer avec 3 candidats déclarés au Ballon d'Or, a priori intouchables en raison de leur attractivité pour les sponsors ; et dont Mbappé et Vinícius ont toujours été rétifs au pressing.

Xabi Alonso n'est pas homme à cajoler ses joueurs et flatter les médias. Il est l'objet de critiques systématiques comme avant lui l'ont été Ancelotti et Zidane, lâchés par Florentino Pérez face à la meute de médias et madridistas aussi impatients qu'exigeants ; tous deux virés ensemble, puis rappelés séparément à la tête des Merengue. Zizou a démissionné car dans l'Institution madrilène où pour l'entraîneur il est impératif de gagner, il ne disposait pas de la confiance et du soutien du club pour construire son onze à moyen et long terme. Xabi Alonso n'a pas les pleins pouvoirs sur la direction sportive du club. Sa voix, notamment en matière de recrutement, n'est pas décisionnelle. Les superstars ne sauraient être sacrifiées sur l'autel du collectif. Et surtout, le coach n'est pas soutenu par son Président qui, régulièrement, devrait lui confirmer officiellement sa totale confiance pour remplir sa mission : mener l'équipe dans une ère nouvelle. Une véritable révolution dans la philosophie de la Casa Blanca ; tâche ardue qui devrait impliquer l'exclusion des joueurs récalcitrants. Florentino n'a pas tenu ce langage. Dès les premières critiques, sa voix de soutien n'a pas été entendue. Certains joueurs se sont sentis encouragés à faire part de leurs états d'âme. Ils se sont confortés dans une attitude négative. Dans ce contexte, Xabi Alonso n'est pas allé au bout de ses idées, au point de tolérer de ses footballeurs l'absence d'un pressing haut collectif, d'un soutien permanent au porteur du cuir, d'une véritable intensité… Qu'importent certains de ses choix ou son mode de communication discutables, c'est le principal reproche que l'on peut lui adresser.

Les frondeurs

Comme tout entraîneur, Xabi Alonso n'échappe pas à l'inévitable mécontentement de certains joueurs dont le club ne peut satisfaire désirs et exigences. Le Basque doit composer avec la frustration de Vinícius Júnior et Bellingham au rêve envolé de Ballon d'Or ; et jaloux de la construction du nouveau projet du club autour de Kylian Mbappé. Le coach doit gérer la déception des Rodrigo, Ceballos, Brahim Díaz, Camavinga, Trent Alexander-Arnold, Carreras… Tous en situation d'échec dans leur tentative pour gagner les galons de titulaire indiscutable. Quant au soldat lévrier Valverde, doté d'une frappe puissante et porteur du brassard de capitaine, il doit accepter d'être dépourvu de la maîtrise technique, la vision du jeu et la créativité attendues d'un milieu de terrain du plus grand club du monde. Difficile de se frayer une place et mériter un statut prolongé de titulaire dans la Casa Blanca ! Ces joueurs aigris ne facilitent pas la nécessaire harmonie du groupe.

Florentino fragilisé

Considéré comme le digne successeur de Don Santiago Bernabéu, Florentino Pérez a perdu de sa superbe : il doit combler l'énorme trou financier engendré par le surcoût du Bernabéu pharaonique, aggravé par la perte des juteuses recettes prévues par l'organisation en son sein d'attractives manifestations sportives et culturelles. Ce méga stade, s'ajoutant à la magnifique cité sportive de Valdebebas, devait consacrer l'immortalisation de Florentino Pérez au panthéon des grands présidents de l'histoire du football.

Si l'ère des Galácticos ne s'est pas traduite par les résultats sportifs escomptés, le club en a tiré un succès financier et un surcroît de notoriété internationale indiscutés. L'image de grand homme d'affaires et de financier du constructeur en a été affirmée dans l'univers du ballon rond ; puis consolidée par sa stratégie de recrutement préférentiel de jeunes footballeurs talentueux et de joueurs confirmés en fin de contrat, désormais reproduite par les principaux clubs européens.

Mais l'échec du projet de Super League, en isolant le Real Madrid des autres institutions majeures du continent, a terni l'aura de Florentino. En outre, son statut de top manager est aujourd'hui écorné par une perte annoncée de l'ordre du milliard d'euros, comparable à celle du dispendieux FC Barcelone, régulièrement cité en exemple de mauvaise gestion par les Madrilènes ! L'accumulation de ces revers donne des ailes à une opposition interne au Président Pérez à l'heure où, pour compenser les pertes financières, il s'apprête à soumettre à l'Assemblée Générale l'ouverture du club à des participations étrangères : une impensable révolution pour les nombreux socios attachés à l'indépendance de leur club de cœur. La modification des statuts qui leur sera proposée risque d'être « fatal » au Président. S'il veut éviter d'être mis en minorité aux prochaines élections, pas question présentement pour Florentino Pérez d'imposer la politique sportive du club en mettant le poing sur la table. Il doit prendre en compte les critiques formulées sur la pauvreté du jeu collectif, sa position affaiblie invitant les frondeurs à donner libre cours à leur mécontentement.

Connus de tous, les problèmes financiers et politiques du Real Madrid sont le terreau de l'instabilité, la grogne, qui compliquent la vie sportive d'un club qui se prévalait d'une louable stabilité. Les joueurs sont préoccupés et en manque de référents : Xabi Alonso est sur la sellette. Florentino Pérez ne le soutient pas, comme il n'avait pas soutenu Zidane 2 face aux reproches répétés des médias sur la gestion des hommes de Zizou jugée (comme celle d'Ancelotti) trop indulgente ; cette gestion demandée en son temps par les mêmes dirigeants pour solutionner les problèmes avérés sous la conduite de coachs à poigne comme Mourinho.

Tortilla blanca ou buen sentido ?

Les frondeurs ont pensé avoir la peau de Xabi Alonso. S'ils persistent, l'ambiance au sein du club et les résultats en pâtiront. Ils doivent comprendre qu'un nouvel entraîneur aurait besoin de temps pour faire prendre sa mayonnaise ; comme les dirigeants doivent entendre que le changement de philosophie souhaité par la Direction ne serait alors plus à l'ordre du jour. Pas d'omelette espagnole sans casser les œufs : la Liga serait perdue, les supporters frustrés, les joueurs pourraient voir remises en question leurs places dans les sélections nationales ; et, à quelques mois de la Coupe du Monde, la trajectoire de leur carrière. Le bon sens indique qu'il est temps de siffler la fin de la récréation pour certains « sales gosses » trop gâtés.

I had a dream…

Un soutien important à Xabi Alonso provient des deux meilleurs joueurs de l'équipe, Courtois et Mbappé. Ce dernier paraît s'installer dans un rôle de leader constructif et rassurant. Tous deux sont en mesure de convaincre Vini de suivre leur exemple : l'intérêt de chacun des joueurs est d'adopter un comportement positif et ambitieux pour concrétiser le projet de la Casa Blanca. Dès lors, Bellingham suivra. Les frondeurs imiteront les tauliers. Un vestiaire uni favorisera de meilleurs résultats. De quoi apaiser madridistas et médias impatients.

Attention, amigos : el mago Florentino est encore capable de tirer de son chapeau noir quelque lapin blanc. Il n'a pas abandonné son projet de création d'une Super League. Et un succès du procès qu'il engage contre l'opulente UEFA pourrait rebooster les finances de l'Institution, lui redonner la confiance des socios et la capacité financière de rivaliser avec les fonds d'investissement, les États moyen-orientaux et la Premier League qui imposent leur puissance financière au monde du football. Dès lors, le Président Pérez devrait activer le changement de philosophie du Real Madrid. Ce grand industriel rompu aux méandres de la vie politique espagnole ferait bien, cette fois, de soutenir son coach. L'intelligence qui guide la vie de cet homme public légitime un optimisme raisonnable.