Attention : scorpion !

Les gardiens de but, à l'exception de l'immense Lev Yashin, sont les mal aimés du Ballon d'Or. Pourtant, ces joueurs aux personnalités souvent flamboyantes peuvent être déterminants dans les résultats de leurs équipes et assurer le spectacle. Comme un certain René Higuita ...
En 1995, au cours d'un match amical international, à Wembley, l'Anglais Redknapp rate son tir. Faible, légèrement lobé, le ballon anodin prend la direction des gants du gardien colombien, Higuita. Au lieu de capter le cuir avec ses mains, ce dernier s'élance soudain en plongeant vers l'avant. Il s'appuie sur ses mains et ses bras pour se donner de l'élan et frappe le ballon avec ses talons, les jambes repliées derrière son dos. Ce geste fou, aussi spectaculaire et risqué qu'inutile, devient un moment emblématique de l'histoire du football. Et immortalise Higuita, qui vient de lancer une mode : le « coup du scorpion » !
El loco
Higuita est l'un des gardiens de but les plus excentriques et mémorables de la planète foot. Au point d'avoir été surnommé « el loco », le fou. Il sortait souvent loin de sa cage afin de donner un coup de main (!) à un partenaire : du pied, de la tête, ou d'un contrôle de la poitrine. Pionnier du « gardien-libéro » moderne, il adorait dribbler et participer au jeu offensif. Son goût pour le jeu hors de la surface de réparation lui a parfois coûté cher : contre le Cameroun lors de la Coupe du monde 90, en manquant son dribble sur Roger Milla, il a provoqué le but qui a éliminé la Colombie. Higuita tirait les coups de pied arrêtés : les pénalties et les coups francs, il les arrêtait... et il les marquait ! Il en a signé pas moins de 45 dans sa carrière : un palmarès de buteur... pour un goalkeeper. En 89, avec son club l'Atlético Nacional de Medellín, il a connu la consécration, avec le premier succès d'une équipe colombienne dans la Copa Sudamericana, la Copa Libertadores, remportée aux penalties devant les Paraguayens de l'Olympia d'Asunción : son masterpiece, en neutralisant quatre tirs et en marquant un pénalty !
La carrière de René Higuita est jalonnée de prestations spectaculaires, où ce showman a osé associer moustache et coupe afro, multiplié les excentricités capillaires, les dribbles dans le camp adverse et les frappes sur coups de pied arrêtés. Avec des hauts et des bas ; non sans certaines amitiés dangereuses. Ayant servi d'intermédiaire dans une affaire d'enlèvement liée au redoutable narcotrafiquant Pablo Escobar, Higuita a été impliqué en 93 dans une négociation illégale de rançon ; détenu 7 mois en Colombie et disqualifié. Depuis sa retraite sportive, l'homme s'est assagi. Il est resté actif dans le monde du ballon rond.
Humain
Imparfait mais sincère, cet impulsif à la personnalité baroque est souvent décrit comme une personne profondément humaine, proche du peuple, chaleureuse, accessible ; un cœur généreux engagé dans des actions sociales, auprès des jeunes de milieux défavorisés. Sa foi chrétienne marquée est une source de force pour mener désormais une vie plus posée, recentrée sur sa famille et sa spiritualité, dans sa ferme de Colombie. À un lecteur de Tiro Libre lui demandant une photo dédicacée pour un ami hospitalisé en réanimation avec un Covid grave, René lui avait aussitôt enregistré une vidéo d'encouragements, pleine d'humanité et de foi religieuse.
Précurseur
En raison de ses extravagances, l'audacieux René Higuita est devenu une figure culte du football, dont le sens du spectacle demeure inégalé. Il a été un précurseur, qui aura incité de nombreux gardiens actuels à être plus actifs avec leurs pieds. Et son coup du scorpion est un geste qui continue à soulever les foules. qui a fait dire : « on peut devenir gardien de but, mais on ne peut que naître Higuita ! »